MANU KATCHE – L’ENTREPOT # LIVE REPORT@FRANCK HERCENT
Groovy Katché man
« Le plus court chemin d’un point à un autre, c’est de marcher sur le cimes » lançait le philosophe-poète Nietszche. Aphorisme qui sied tant à Manu Katché, le plus américain des batteurs français, qu’on l’entendrait presque lui-même dire : « le plus court chemin d’un point à un autre, c’est aussi de marcher sur les rimes… » En effet, musicien respecté en France comme à l’international, Manu Katché a accompagné une kyrielle de poètes, parmi les plus grands. Et il continue à rythmer les plus belles rimes comme à improviser sur les plus belles scènes de la planète. On le retrouve donc souvent à Marciac, l’été.
De festivals de jazz en musiques de films, de show télé en composition personnelle, Manu Katché est le musicien que l’on a tous entendu sur un de nos disques favoris ou dans un solo de concert.
Que ce soit avec Sting, Al Di Méola, Dire Straits, Tears for Fears, The Christians, Youssou N’Dour, Manu Dibango, Simple Minds, Joe Satriani, Véronique Sanson, Francis Cabrel, Laurent Voulzy, Stephan Eicher, Michel Petruciani, Richard Bona, Mike Stern, Jan Garbarek, Joni Mitchell, Stracy Chapman, J.J. Goldman, Jonnhy Hallyday, Alain Souchon, Louis Chedid ou Michel Jonasz… il groove grave, il rocke rare, il swingue sûr, il poppe pur, Il boeuffe bop, il jamme jazz, il funke free…
Encore et encore. Oui.
Et en des temps records.
Il joue le jour, la nuit,
Par babord, par tribord.
Ces années sont intenses.
Et les disques s’enchaînent :
Blues très roots, free en France
Ou cool de cantilène…
De Bopthoveen à Bach,
Des minstrels jusqu’au rap,
Jusqu’aux « work songs » qui claquent…
Rien, rien ne lui échappe.
Ce samedi 12 octobre à l’entrepôt du Haillan, ce drôle d’indien était dans la ville pour répondre présent avec ses comparses Jim Henderson au clavier, Patrick Manougian à la guitare et Jérôme Regard à la contrebasse pour une nouvelle ascension et pour la présentation de son dixième album The Scope, dernière tentation du Katché, après – j’ai compté -, environ quelque 250 participations d’albums au compteur… Respect. Vous avez dit respect ?
Il le dit lui même : il aime la connection entre les gens. N’est-ce pas là la définition du jazzman ? C’est tout logiquement que le groupe commença la soirée avec Keep connected, premier morceau de l’album. Une belle composition pour un Live car sur l’album elle est peut être un peu courte (format oblige) alors qu’on devine, on espère, on attend qu’elle s’ouvre sur une impro majestueuse au fur et à mesure que les doigts dans les cordes se multiplient comme des tentacules…
S’ensuivirent Overlooking et Vice, beau message car ce morceau cherche à montrer qu’on peut vivre ensemble malgré tous nos défauts, nos vices. Il reprend ainsi la thèse de la fameuse « insociable sociabilité » kantienne. J’aime à y voir également un clin d’oeil au président américain Obama porteur d’une entente et d’un rassemblement… Yes we can !
Manu Katché est un chercheur d’ondes. Dans cet album, il explore des sonorités plus électro et même rap. Ce qu’on ne peux qu’apprécier et encourager dans un domaine qui a tant besoin d’innovation pour sortir de cette rengaine continuelle dont on nous rebat les oreilles. Pourtant, au départ, le rap, le slam sont également porteurs d’une formidable force créatrice qui est censée dynamiter le langage, les rythmes, la structure et la reproduction sociale, mais, à l’arrivée, le résultat est souvent navrant de conformité. Tous parlent de la même façon, avec la même inflexion de voix, disent les même choses, s’habillent à l’identique, véhiculent les mêmes clichés dans des clips surproduits et, souvent, sans une once de créativité. Ce n’est pas parce qu’un texte contient des rimes qu’il est poétique ou subversif. Stéréotypé ou au lexique indigent, il fera précisément le jeu de la domination qu’il est censé combattre… Ruse de la raison. Certains s’en frottent les mains ! Sur ce terrain-là, dans cette partition-là, Bourdieu aura toujours raison.
Il s’agit de s’abstraire
De ce monde au maximum
Afin de respirer l’air
Des sommets du summum.
Manu aime explorer tous les tempos. Se faire être ; se renouveler. Créer. L’air des cimes, il le respire abondamment. C’est souvent une anecdote qui résume une biographie ; les musiciens n’échappent pas à la règle. Au commencement (de sa carrière), il était aux sports d’hiver perdu en pleine montagne avec des amis. Il reçoit un coup de fil : c’était Peter Gabriel. Il raccroche croyant à une blague. Puis, ils se parlent finalement et se retrouvent en Angleterre pour enregistrer l’album So et jouer le premier morceau Don’t give up.
On connaît la suite… Ce soir donc, ses nouvelles compositions : Goodbye For Now, Glow, Paris me manque, Fooling around avec une guitare qui rappelle Satriani, Don’t you worry for me, Please do aux couleurs plus funky, Song for her, Tricky avec un solo ou plutôt The solo, devrais-je dire, de la soirée.
Manu Katché seul derrière ses fûts dégageant plus d’énergie que les 4 musiciens réunis… Faut dire que c’est un jazzman et qu’il connaît l’importance de l’improvisation et de l’inspiration. C’est d’ailleurs ce qu’il expliqua en poète des grooves, en Don Quichotte des rythmes, casquette « Kulte » (avec un K mais oui) vissé sur la tête dans une interview avant le concert puisqu’il me fit l’honneur de participer à mon film documentaire FREE sur l’histoire du jazz et sa poésie aux côtés de ses amis non moins cultissimes : Kyle Eastwood, Biréli Lagrène, Marcus Miller et Jean Jacques Milteau – pour ne citer qu’eux.
Le jazz recherche la…
Transe synesthésique
Pour atteindre en fin la …
Danse cénesthésique !
On évoqua également la nécessité de la transmission et le rapport Lockwood (qui mentionne, entre autres, les concepts convoqués dans ce dernier quatrain) auquel il participa. En effet, l’éducation à la musique demeure une nécessité dont peu se préoccupent et pour laquelle trop peu de moyens sont alloués dans les écoles. De même qu’il faut « soutenir la musique Live » comme il le rappela en tout début de concert… Yes We Can !
Franck Hercent
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