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ROBERTO FONSECA – LE VIGEAN EYSINES – #LIVE REPORT @FRANCK HERCENT

Roberto, le Duende dans les doigts.

 

Par le jeu des anagrammes

Sans une lettre de trop

Tu découvres le sésame

Des mots qui font d’autres mots….

Ah… magie de ce quatrain de 7 syllabes avec lequel, pendant des années, j’ai commencé mes cours de littérature. Bien qu’il soit dans tous les manuels, il est assez peu connu ou cité. Il est particulièrement recommandé pour initier un atelier d’écriture et ouvre les élèves à des créations étonnantes en leur permettant de jouer avec les mots, les images et les phrases… J’avais choisi une édition illustrée par Picasso intitulée « le magicien ».

Et, c’est bien de magie de la phrase (musicale) et d’images (sonores), bref de sensations, d’émotions, autrement dit d’invitation au voyage, dont il était question dans le concert de Roberto Fonseca, ce mardi 15 mai à la salle du Vigean d’Eysines, venu présenter son dernier opus : ABUC. Album dédicacé à son pays, CUBA, ses parents, ses origines et… à la musique. L’introduction du livret (dont je vous recommande la lecture) reflète le concert : 2 ans de gestation durant lesquels Roberto est sorti de sa « Cuban Confort zone » pour repartir à zéro, explorer ses racines musicales qui sont un mélange de culture hispanique et africaine. Tout ça pour les intégrer et les dépasser tout en s’approchant de son propre style musical qu’il qualifie en cubain d’ « asere » que l’on traduit par « pote », « ami »… Bref, mélange de tous les autres, il a trouvé un style qui lui est cher, qu’il affectionne, qu’il choie par choix… Affinité élective…

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Ainsi, le concert comme l’album sont des invitations au voyage. Patchwork bigarré de couleurs, d’odeurs, de sons et de swings qui se répondent à l’envi. On débute avec le « Cubano chant », un New Orleans Guaracha, puis un Afro Manbo… Sa mère lui disait : « Danser un mambo, c’est comme danser près du paradis. » Puis, viennent un Guajira Beat, « la contredanse de l’esprit », un Dixie Afro-Conga ou un Cha Danzon Cha…etc. Mais, laissons l’album pour parler du concert et souligner les minutes vertigineuses auxquelles le public a assistées notamment grâce à Yandi Martinez à la basse et Ruly Herrera littéralement fulgurant à la batterie (étymologiquement, qui jette une lumière vive et qui frappe soudainement l’esprit, l’imagination). Et, une interprétation de « Besame mucho » splendide de délicatesse et de volupté. Transportée.

 

Et ce paradis-là

N’est en rien artificiel

Et j’pense même qu’il a

C’ qu’il y a de plus essentiel…

 

Cela peut te paraître

Quelque peu démentiel…

Un’ mélodie peut être

Mais oui… providentielle !

 

Roberto Fonseca est coutumier du fait. Ces concerts sont des explosions de couleurs. Sous le chapiteau de Jazz In Marciac, il avait joint l’image à la note. Un piano en bois était peint en Live… éclaboussé de nuances. Comme pour nous signifier, au 2° degré, que les mélodies créent des images mentales, peut-être plus puissantes encore… L’île, les poissons, les coraux, les soirées sur la plage prennent corps dans les rythmes. Les 8 degrés d’une octave sont la palette du musicien. Tout est permis en poésie. Grâce aux notes l’image est magie.

Mais ce n’est pas l’instrument, la lumière, la plume ou, en l’occurence, le piano qui font l’artiste. Malgré le Cuba cubiste que Roberto nous propose dans ses concerts, au delà de la multiplicité des styles déployés et de la maîtrise technique, il possède quelque chose d’indispensable. Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère… approche. Approche un peu plus près. Encore. Encore, car ce sont des mots que l’on ne peut que murmurer. Ce que Roberto, poète impeccable, possède dans les doigts, c’est le Duende.

Le Duende, c’est l’ineffable. C’est la phrase qui va droit au Beat. C’est « un pouvoir mystérieux que tous perçoivent et que nul philosophe n’explique. » Descendant du très joyeux démon de Socrate, de Descartes ou de Nietzsche… Il est aussi « l’âme cachée », de la douloureuse Espagne… Il se tient sur la peau de taureau tendue entre les fleuves de la Galice à Grenade : le Júcar, le Guadalfeo, le Sil ou le Pisuerga. C’est ce je-ne-sais-quoi qui fait l’Espagne ou l’Andalousie. Il transpire. Sort de la peau, comme la poésie sort de la phrase. Le Duende n’est pas dans la gorge, le Duende monte par le dedans, depuis la plante des pieds.

La propriété magique d’une musique, d’un poème réside dans la charge permanente de Duende qu’il renferme. Il augmente la faculté d’aimer et d’être aimé. Il est une lutte pour l’expression. Avec l’idée, avec le son ou avec le geste, le Duende prend plaisir à affronter l’artiste créateur en une lutte loyale sur les bords du puits… Ici, on n’a que faire de l’habileté, de la technique, de la maestria, ce qui nous importe : c’est autre chose. Le Duende agit sur le corps de la danseuse comme le vent sur le sable. Le Duende est puissance et ne se répète pas, comme ne se répètent pas les vagues de la mer formées au cours des tempêtes… C’est ça le jazz ! ¡ Hasta Siempre ! 

Vous retrouverez toutes ses définitions dans cet indispensable petit texte de Frédérico Garcia Lorca  Jeu et théorie du Duende  ainsi que dans la magnifique interprétation qu’en a faite Jacques Higelin (à écouter en libre accès sur le site de France Culture). Ce concert du 15 mai à Eysines avait donc du Duende. Et c’est aussi peut-être pour cela qu’il fut une invitation à la danse et que la salle s’est levée pour esquisser quelques pas de mambo… A bientôt Roberto. ¡ Hasta luego Amigo !

Franck Hercent

Retrouvez les livres de Franck Hercent « oflo » aux éditions Edilivre et sur franckoflo.com