PHILIPPE CAUVIN – « 6CD » Collection 1978-2015 – Chronique de Serge Korjanevski
C comme on le constate facilement, la « tranche » de chacun des 6 CDs de cette collection
A comporte une lettre, l’ensemble épelant – selon l’ordre choisi par l’artiste lui-même – son
U patronyme // sollicité pour les chroniquer, je l’ai fait pour ma part dans une perspective
V autre, en débutant par les productions récentes (Nu, Guitarvision) suivies de la tentative
I unique que constitue Des mots sur des notes, puis de Frôlements, enjambant les époques,
N pour clôturer avec les 2 albums en groupe (Philippe Cauvin Groupe, Philippe Cauvin Except)
Cette parution à l’opposé de toute frilosité dont le premier et le dernier volumes, respectivement NU et GUITARVISION, en encadrent quatre autres constitués d’archives, représente donc le chaînon manquant entre les deux sorties discographiques initiales de Philippe sous son nom (CLIMAGE, MEMENTO) et VOIE NACREE, ce dernier album (avant-dernier chronologiquement parlant) perçu parfois comme l’album du retour.
https://youtu.be/$1
I / nu
Au long de nouvelles écoutes de NU, (me) saute aux oreilles une sorte de musique «globale » – pas métissée, pas mondialisée – mais genre de musique transgenre !
Philippe comme killer des frontières (musicales) ?
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Dans son rapport avec ses autres productions – l’actualité dont il est question ici mais aussi les premières parutions de sa carrière solo enregistrée (cf. plus haut) – on entend comme des échos des musiques d’un passé ancien, bien sûr le sien mais dans une forme jusqu’ici in-ouïe.
NU…sentiment d’une somme, avec ses réminiscences, un embrassement de structures, envisagées/préméditées comme nées spontanément, en tout cas d’une diversité extrême
NU…sorte d’enjambement par-delà les années, reprenant les choses à l’origine, à la source de ce qui fonde l’inspiration de Philippe mais en donnant plus que jamais le sentiment d’une épure
NU…errance contrôlée au sein d’un paysage sonore, sorte de land-art musical, peut-être son enregistrement le plus organique
NU…musique de l’instant, au-delà de la guitare, parvenant à nous faire entendre plus que celle-ci, plus que la voix en contrepoint ou prenant le relai
NU comme NEW ?
NU, c’est du concentré de Cauvin Philippe.
Top 9 : « Mer » (plage 3)
II / guitarvision
Dernier volet de la série, GUITARVISION, de Jordan Cauvin et grâce à lui, rejoint NU par les surprises (a)ménagées au long de ces 9 plages et surtout peut-être plus que tout par sa fraîcheur. Comme on le dit d’un produit (pardon !) frais, sain, bon pour le cœur, l’humeur, l’énergie…
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Entre autres intérêts, cette relecture de compositions de Philippe – qu’elles soient « inédites », enregistrées de longue date ou encore uniquement jouées en concert par leur auteur ou éventuellement par l’un ou l’autre des garçons Cauvin – permet d’entrer un peu plus loin dans des strates souvent complexes mais toujours d’une grande sensibilité, comme un reflet d’une personnalité musicale unique.
Le grand mérite (pas le seul) de Jordan, au-delà de la qualité de ces/ses interprétations inspirées, délicates, est de s’approprier ces pièces par des arrangements réussissant à respecter l’intégrité des « originaux ».
Lorsqu’on croit connaître ceux-ci, de l’extérieur comme auditeur ou encore éventuellement de l’intérieur pour les avoir pratiqués avec leur créateur (c’est, modestement et avec grand respect, mon cas), cet univers et ses éléments dispersés au long des décennies se trouvent éclairés de couleurs nouvelles tant la palette de Jordan crée ici ou là des reliefs inédits au sein de morceaux différemment explorés par les interprètes précédents (Philippe, Thibault).
On apprécie la participation sur certains titres de musiciens amis (Jonathan Lamarque, Antoine Layère, Guillaume Thevenin, bien sûr le duo avec Frère Thibault) qui épousent avec efficience et un sens certain de la nuance les contours du moule proposé, Jordan se chargeant également d’habiller de ses propres participations annexes à la guitare électrique, à la basse et aux claviers, ses talents de guitariste personnel et ouvert.
Top 9 : «Memento » (plage 9)
III / des mots sur des notes
DES MOTS SUR DES NOTES a une place à part au sein de la série des 4 volumes d’archives fameuses de Philippe Cauvin, prises en sandwich entre son actualité (NU) et celle (GUITARVISION) de Jordan [Cauvin].
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Projet particulier, unique dans le parcours de son auteur, il s’agissait pour lui à ce moment-là de garder l’esprit de sa musique dans une enveloppe différente. Pour le dire autrement, le format revendiqué ici cherche à atteindre un auditoire plus étendu – et sans aucun doute autre que celui déjà familier de son travail de création. A la recherche donc d’une plus grande accessibilité, celle apportée par la chanson, les chansons. Non plus celles, inspirées et d’une beauté parfois étrangement enfantine que l’on trouve disséminées parcimonieusement dans le corpus de compositions de plus grande envergure sur les 2 premiers albums, mais ce que tout un chacun met généralement sous le vocable chanson.
Pour autant, il n’est pas question de lâcher quoi que ce soit…L’entrelacement des parties de guitare reste d’une richesse surprenante et, il va sans dire, inédite dans un tel contexte ! De même le sens mélodique qui habite les compositions antérieures à ces séances n’est pas soldé. Simplement, le temps volontairement concentré resserre les thèmes. Une phrase qui aurait servi de point de départ à un long développement éventuellement sans aucun retour est au contraire mise en exergue, valorisée, par sa répétition même.
Au détour d’un couplet, sous l’apparente évidence rythmique renforcée par la permanence des programmations alors omniprésentes dans les studios à cette époque (les enregistrements se situent entre 88 et 90) on a la (fausse) sensation surprise d’une polyrythmie fugace, d’une rupture subliminale de la métrique.
On est de plus frappé par le travail sur les voix, leur réalisation comme leur conception, travail certes existant sur de précédentes productions mais comme densifié par la forme courte.
Qui dit chanson sous-entend généralement musique et paroles. C’est à la tâche délicate de leur écriture, souvent à partir du « yaourt » cauvinesque initial que s’est attachée Maïté Dallet, contribuant au sentiment d’unité de l’ensemble malgré des sessions étalées dans le temps et techniquement dissemblables.
Top 13 : « La Spirale des fous » (plage 12)
IV / frôlements
Présentant des enregistrements réalisés entre 1978 et 1994, FROLEMENTS est, au centre des 6 CDs récemment publiés d’un seul coup d’un seul par Philippe Cauvin, comme un panorama reflétant en fait sa carrière « solo » aussi bien antérieure que postérieure aux albums Climage (1982) et Memento (1983).
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Le terme de solo peut paraître abusif puisqu’un certain nombre de partenaires irriguent le répertoire choisi, mais celui-ci documente des périodes solitaires de Philippe, par opposition – même si parfois également parallèles – aux formations successives d’Uppsala (et à ses renaissances), puis du Philippe Cauvin groupe, enfin plus récemment du Philippe Cauvin Except.
Ce qui frappe après écoute intégrale est l’hétérogénéité formelle des titres (r)assemblés, pas seulement due aux époques, origines et contextes différents ou encore aux participations musicales déjà évoquées.
La sélection de titres et leur agencement assument une inspiration diversifiée qui permet de faire le lien entre l’esprit de NU et les deux premiers opus cités plus haut, tout en éclairant l’expérience sans filiation restituée sur DES MOTS SUR DES NOTES.
On ouvre avec « Vertiges » (*), vestige d’un premier album non publié, pour terminer avec une variation autour d’un thème de « Automne » (**).
Entre-temps, auront défilé nombre de paysages variés comprenant des musiques composées/enregistrées pour un film, des chansons et autres pièces en public, et bien sûr des inédits dans des registres parfois très éloignés les uns des autres (« Gratitude », « Sérénade chimérique », « Renaissance éternelle »…).
S’entendent ainsi sur FROLEMENTS d’autres sortes de chansons, de pièces instrumentales, de formations éphémères tel un kaléïdoscope des possibles cauviniens.
(*) cf. Climage / (**) cf. Memento
Top 15 : « Sérénade chimérique » (plage 7)
V / philippe cauvin groupe
Premier, historiquement parlant, des 2 recueils d’archives en groupe (Uppsala pour plus tard ?), celui-ci est en fait constitué seulement en partie d’un enregistrement correspondant à son intitulé, la moitié consistant en séances de studio en solo réalisés un peu plus tard la même année.
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Ceci étant, l’alternance quasi systématique de pièces en provenance de ces 2 sources donne un sentiment de cohérence, les prises réalisées par Philippe seul se rapprochant (batterie exceptée) de l’instrumentation et par voie de conséquence du son de l’ensemble « live ».
Cette impression se voit renforcée par le mélange de titres entendus ici pour la première fois et de nouvelles versions de compositions déjà connues, certaines pouvant même être considérées comme de véritables classiques (tubes !?) de leur auteur, tels « Chanson facile d’amour », « Jeu d’enfant » ou encore « Automne ».
L’entrelacement des parties de guitares (Philippe et Laurent Millepied) ne compromet pas, grâce à leur équilibre, l’unité du jeu de leur compositeur-interprète lorsqu’il se produit ou enregistre seul.
Les claviers d’Olivier Grall, au-delà des thèmes qui leur sont confiés, apportent le juste grain, enveloppant mais sobre, s’inscrivant de façon naturelle au cœur de cet univers mariant lumière et trajets souterrains.
Dans un même esprit, Marc Zerguine souligne avec précision, une grande finesse, mais aussi avec un groove délicat les lignes mélodiques, les rythmes alternant complexité et simplicité lorsque la musique en cours le demande.
L’investissement des 3 musiciens choisis est à la hauteur du créateur d’exception
qu’est Philippe – dont on n’oublie pas le chant, n’est-ce-pas, unique et pour une bonne part générateur des émotions ressenties au long de la ballade dans cette collection d’hiver…
Top 12 : « Vertiges » (plage 2)
VI / philippe cauvin except
Débutant par la pièce la plus « neuve » de la série sur le plan chronologique, cet album est peut-être le plus étonnant par ce qu’il apporte à l’univers révélé jusqu’alors de Philippe.
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« Claire obscure », la pièce inaugurale enregistrée en 2015, dédiée à / et faisant entendre Pascale Martinez seule mais démultipliée, indique la couleur d’un enregistrement particulier (oui, encore un !) dans la discographie de son leader.
Les claviers (vibraphone, marimbas) auxquels se joignent discrètes percussions et flûte in-entendue jusque-là, donnent justement le la, comme on dit sans trop savoir.
Pièce (d)étonnante par une virtuosité ne se revendiquant pas comme telle mais toute au service de la musicalité sans concession du compositeur, cette ouverture mettant en valeur son interprète introduit une collection d’autres titres inédits : « Au bonheur du palais », « Transfert « entre autres, ou plus ou moins sensiblement recréés, tels « Tourberies », « Voyage au bord de l’infini »…
Avec ce trio unique, Philippe dévoile un talent nouveau d’arrangeur dans un registre bien différent de ses réalisations précédentes. Ceci tient à la formule instrumentale adoptée, au centre de laquelle les parties de batterie de Lulu Bret se construisent une place inventive dans ce contexte délicat, mais également à la contrainte technique guitaristique imposée à Philippe par le (coquin de) sort.
Cette dernière expérience en date pour proposer sa musique au sein d’un groupe
totalement dédié à celle-ci, ce après avoir beaucoup pratiqué solitairement la scène (parfois parallèlement aux formations mises sur pied) laisse espérer
d’autres chemins collectifs jusqu’ici inexplorés, comme l’ont été sur le versant solo les surprenants albums Voie nacrée et Nu.
Top 9 : « Voyage au bord de l’infini » (plage 9)