PROVIDENCE – L’INTÉGRALE – CHRONIQUE BD @ ALAIN SALLES
PROVIDENCE – L’INTÉGRALE
de Alan Moore et Jacen Burrows chez Panini Comics
Un jeune journaliste new-yorkais décide d’abandonner son travail pour devenir écrivain. Nous sommes en 1919, et Robert Black se rend en Nouvelle Angleterre pour découvrir le côté sombre, caché, ancien d’une nation jeune encore en plein essor. Il va d’abord rencontrer des membres d’une secte appelée Stella Sapiente avant de devenir un élément d’une étrange transformation…
Howard Phillips Lovecraft et hypertextualité
Avant Providence, il y a The Courtyard (2003) et la série Neonomicon, réunis en 2013 par Urban Comics. Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta, Miracleman, From Hell…) s’est déjà attaqué à l’univers de Lovecraft et son fantastique horrifique à la teneur si particulière. La grande différence par rapport à un auteur qui fascine encore les joueurs de Call of Cthulhu, c’est que la bande-dessinée est un média en partie visuel. Même si, à l’instar de Watchmen, de nombreux textes viennent en plus étayer le récit : comme Lovecraft, Moore place le personnage central en tant que conteur à part entière de sa propre histoire. Black va lui-même s’inviter dans un univers qui l’attire et le terrifie à la fois, directement inspiré de celui du misanthrope de Providence. De nombreuses références à des nouvelles de Lovecraft apparaissent au fur et à mesure des chapitres du récit, toujours subtilement, dans une hypertextualité brillamment menée.
Ce que vous avez imaginé (sans jamais totalement le visualiser)
Jacen Burrows (Crossed, 303 avec Garth Ennis) est le complice de Moore sur cette trilogie consacrée à Lovecraft et sa mythologie. Comme nous l’avons évoqué plus haut, le visuel est (forcément) bien plus présent dans le monde des comics que dans les écrits lovecraftiens. L’indicible devient plus perceptible, descriptible, Moore et Burrows s’efforçant d’en garder la teneur, autant que possible ! Le scénariste s’emploie également à développer ce qui peut paraître en filigrane dans le monde de Lovecraft. Tel le racisme (il était en fait totalement misanthrope), l’homosexualité, l’inceste, éléments issus du réel, le cosmos transformé, les accouplements avec des créatures à demi animales (ou démons !), l’univers du rêve (de la drogue aussi)…tirés du monde de Lovecraft. Toujours dans un contexte hypertextuel, la vie de l’auteur de Providence se mêlant ainsi au destin de Robert Black, à qui une (en)quête littéraire mènera à sa destinée, entre rêves, démence et réalité.
Moore : hommage et sublimation !
Lovecraft, son univers, ses personnages …sont toujours vivaces dans la culture populaire contemporaine. Pourtant, il n’est pas d’œuvre comparable à Providence dans le neuvième art. Moore a su rendre hommage au maître de l’horreur cosmique tout en apportant sa pierre à un édifice d’autant renforcé. Comme il a déjà su si bien le faire dans sa riche carrière, il a donné une nouvelle vie à un univers de fiction qui semblait s’être figé dans une époque. Une forme de quintessence…
Alain Salles