INTERVIEW MANUSCRITE #100 – TÊTES RAIDES @ DIEGO ON THE ROCKS
INTERVIEW TÊTES RAIDES PAR DIEGO*ON*THE*ROCKS
TÊTES RAIDES est un groupe Parisien créé en 1984 issu d’une scène punk dont le fondateur est l’auteur/compositeur/interprète Christian Olivier. Une quinzaine d’albums publiés et une présence scénique incomparable font de cette troupe qui mélange cirque et poésie un incontournable du paysage rock Français. Pour les 30 ans de « Ginette », le collectif reprend la route afin de célébrer avec son fidèle public un anniversaire particulier.
Pour Musiques En Live, Diego a rencontré le leader de TÊTES RAIDES sous le regard photographique de Carolyn.
DIEGO : Avant de parler TÊTES RAIDES, comment se passent tes spectacles avec Yolande Moreau et votre hommage à PREVERT ?
CHRISTIAN OLIVIER : Bien ! Ça a repris depuis quelques temps malgré la Covid. Ce spectacle est intemporel et Yolande et moi-même nous sommes réellement trouvés. Nous ne nous connaissions pas outre-mesure même si elle avait assisté à une exposition de peintures que j’avais organisée. Un ami commun nous a présenté, nous avons dîné puis ce spectacle a pris forme. Au départ il s’agissait d’un « one-shot », d’ailleurs elle ne chante qu’un titre sur l’album « Prévert » sorti en 2017. De fil en aiguille, ce concert d’un soir est devenu une tournée qui continuera toute l’année à venir.
DIEGO : 7 ans entre deux productions de TÊTES RAIDES puis 3 albums solos et un disque de reprises sous ton nom. Ta carrière solo n’est-elle pas l’antonyme du travail en groupe ?
CHRISTIAN OLIVIER : TÊTES RAIDES est un collectif comprenant des gens qui ont des carrières distinctes. Partir sur la route solo est différent. Pour le groupe, j’amène les textes et les mélodies et nous travaillons les arrangements ensemble.
DIEGO : Travailler à 8 ou à 2 n’est pas le même job !
CHRISTIAN OLIVIER : C’est clair ! Néanmoins dans les tournées « Christian Olivier », les musiciens qui m’accompagnent relatent plus souvent un esprit de groupe que celui d’un artiste solo. Je travaille avec des gens et le résultat se doit d’être collectif.
DIEGO : La musique a cette faculté d’être autant partagée avec le public qu’entre musiciens. Les 30 ans de la chanson « Ginette » sont le déclencheur de cette réunion ?
CHRISTIAN OLIVIER : Entre deux projets et après avoir fait les 10 et 20 ans, nous avons préféré une tournée anniversaire. L’idée était de rappeler les intervenants des premiers albums du groupe, de 1989 à 1992.
30 est un chiffre qui m’a donné de l’énergie pour repartir avec les copains. Une date unique sans nouveautés me paraissait pauvre, j’ai préféré justifier la tournée avec un nouvel album baptisé « Bing Bang Boum » composé de 12 titres.
DIEGO : Comment as-tu rencontré Edith Fambuena qui produit l’album ?
CHRISTIAN OLIVIER : Sur mon premier album solo (« On/Off »). Je suis allé la voir dans son studio et le courant fut immédiat. Evidemment je la connaissais de ses collaborations passées avec Bashung ou Daho et travailler avec elle fut une très belle expérience.
DIEGO : Edith a tourné avec Zazie, pourrait-elle monter sur scène avec TÊTES RAIDES ?
CHRISTIAN OLIVIER : Ce n’est pas prévu mais rien n’est impossible. Je l’ai appelée pour ce dernier projet TÊTES RAIDES et elle a apporté une créativité qui se concrétisera encore dans mes prochains enregistrements solos en rapport avec mon livre « La Révolution Du Coeur », preuve que son travail est fructifiant !
DIEGO : Dans ce dernier album, parle-moi du titre « Face à Face » qui laisse imaginer une plage à Calais ?
CHRISTIAN OLIVIER : On peut s’imaginer à Calais comme ailleurs et l’inspiration vient souvent de sujets majeurs. J’aime les chansons à tiroirs afin que chacun y trouve son interprétation. « Face à Face » parle d’humanité… où en sommes-nous aujourd’hui ? Où va t’on ? Pourquoi continuer à avancer dans un mur ?
Les sujets traditionnels liés à l’intégration ressurgissent dans toutes les périodes pourries. Ne pas oublier les tragédies passées !
DIEGO : Néanmoins ces sujets sont moins récurrents dans tes dernières compositions ?
CHRISTIAN OLIVIER : C’est vrai. J’en ai tellement parlé et les choses ont bougé. Le racisme en France revient régulièrement sur le tapis.
DIEGO : De quel « frisson » parles-tu dans l’un des plus beaux titres de ce dernier album ? La mort ?
CHRISTIAN OLIVIER : Il y est mais c’est aussi le frisson de la vie ! Celui de l’amour est plus caché…
DIEGO : J’adore l’enrobage et la musicalité de ce titre qui font les qualités de TÊTES RAIDES !
CHRISTIAN OLIVIER : Merci ! Cette chanson reflète l’envie de vibrer pour des choses simples. A titre d’exemple un paysage peut donner une sensation qui apportera un frisson…
DIEGO : « Haut Les Mains » et « Liberté » sont des titres prémonitoires écrits avant la pandémie. Incroyable ?
CHRISTIAN OLIVIER : Certaines phrases tapent dans le mille ! Lors de mes premières interviews à l’automne dernier, tes homologues journalistes pensaient que ces deux titres avaient été composés pendant la pandémie… et bien non ! Ils datent d’avant 2020 et ont été enregistrés aux studio Guillaume Tell à Suresnes ou chez Edith Fambuena en région Parisienne. Sans le virus les morceaux existeraient quand même, la situation n’a fait qu’exacerber ces sujets. On peut considérer que l’impact sanitaire était latent et qu’il ne surprend personne.
DIEGO : Revenons à ta méthode de travail. Comment composes-tu un morceau afin d’y inclure une telle richesse musicale ?
CHRISTIAN OLIVIER : En général c’est souvent le texte qui amène la chanson. Je chante très vite. Généralement, je me pose en situation d’écriture sans but défini tous les jours. Cet état me plait énormément. Je fais le point, une phrase arrive puis je compose à la guitare où à l’accordéon.
DIEGO : Tu composes à l’accordéon ?
CHRISTIAN OLIVIER : Cela m’arrive. Pour la petite histoire « L’iditenté » en duo avec NOIR DESIR fut composée à l’accordéon. Pour l’enrobage, c’est le sujet qui m’emmène sur tel ou tel type d’instrument. L’avantage de TÊTES RAIDES est que notre palette est très riche. Certains albums sont électriques, d’autres acoustiques. On repart à zéro à chaque fois et la nature du morceau donnera sa musicalité. Tu parlais du récent titre « Liberté » qui est engagé et dans sa sonorité Edith a inventé un son nouveau que nous n’avions jamais enregistré en 30 ans d’expérience. La palette sonore est inédite et quelques machines produisent des ambiances différentes.
Ce disque peut amener au voyage, comme des séquences de cinéma qui défileraient devant l’auditeur. « Haut Les Mains » est un exemple concret ! Le timbre et la vibration d’un instrument sont également des éléments très importants. On sait instinctivement si ça passe où pas… le titre « Frisson » n’aurait pas pu être joué sans violoncelle.
DIEGO : Lorsque tu écris pour tes albums solos, il ne t’arrive jamais de penser qu’une chanson serait mieux pour TÊTES RAIDES ?
CHRISTIAN OLIVIER : Dans « Bing Bang Boum » certains titres auraient pu être publiés dans un futur album solo ! En fait je ne me pose pas de question et pars plutôt sur un projet que sur un choix. J’aime les portes ouvertes et le mouvement… il faut être surpris par son travail d’artiste pour surprendre l’auditeur, c’est une bonne méthode.
DIEGO : Es-tu un éternel saltimbanque musical ? Je pense au côté « cirque » de TÊTES RAIDES.
CHRISTIAN OLIVIER : J’ai toujours été un saltimbanque. Nous avons ce côté foire tout en conservant des moments forts. Loin d’être le bordel, nos numéros ont une face sensationnelle maitrisée.
DIEGO : Lorsqu’on écoute « La Critik » ou « Abécédaire », on est en plein dedans !
CHRISTIAN OLIVIER : Là c’est du pur TÊTES RAIDES ! Dès qu’on monte sur scène, l’engagement est très fort. Sans nous parler, nous dégageons une force intérieure. L’unité fait que nous sommes un seul et même personnage malgré la présence de 8 musiciens.
DIEGO : Pour le visuel, l’association des « Chats Pelés » est toujours existante ?
CHRISTIAN OLIVIER : Oui, nous sommes deux ! Depuis 25 ans, nous travaillons les pochettes avec Lionel mais avons également des projets d’affiches, de livres, de films d’animation et d’expositions.
DIEGO : Est-il difficile de sortir un disque et de tourner en 2022 ?
CHRISTIAN OLIVIER : C’est différent du passé tout en restant compliqué. On vend peu de disques et il faut avoir une vue d’ensemble sur un projet. A mon avis, l’insouciance d’antan n’est plus. En 1989 nous avons gagné un 8 pistes au cours d’un tremplin musical et avons produit notre premier album. Nous fabriquions nous mêmes les pochettes. Aujourd’hui tu ne mets plus des tonnes d’argent pour réserver un studio car une partie de la technologie est accessible à domicile. Tu peux mélanger acoustique et informatique, c’est extra. En tournée je trimbale tout le temps mon ordinateur portable et continue à bosser mes projets, ce n’était pas vrai 30 ans plus tôt. J’aime cette alchimie et souhaite pousser l’utilisation des machines et des instruments modernes encore plus loin.
DIEGO : 30 ans de carrière et 15 albums de TÊTES RAIDES. Y’a t’il eu une période difficile ?
CHRISTIAN OLIVIER : Peut-être le troisième album qui s’appelait « Les Oiseaux » sorti en 1992. Nous n’avions pas une thune et la production fut difficile car nous continuions à bosser pour vivre. L’enregistrement était fait et nous avons présenté le spectacle dans un petit théâtre Parisien devant 3 personnes le premier soir… par le bouche à oreilles le public est venu et nous avons joué 6 semaines ! Ensuite nous avons signé pour une maison de disques et l’aventure à réellement commencée.
L’autre problématique est que dans un collectif tu as toujours un peu de tension mais le public t’apporte l’énergie incroyable pour passer à autre chose. La scène est une expérience formidable… merci les gens !
DIEGO : Ton livre récemment sorti s’appelle « La Révolution Au Coeur ». Peux-tu nous en parler ?
CHRISTIAN OLIVIER : Il parle des poètes Russes durant la révolution de 1917. J’avais bossé sur « Le Nuage En Pantalon » de Vladimir Maiakovski, sur « Les Douze » dans une traduction de Brice Parain, sur « Le Gars » de Marina Tsvetaieva puis sur Anna Akhmatova. En 2013 nous avons sorti un album baptisé « Corps De Mots » qui reprenait les poètes surréalistes Français et j’ai eu un déclic afin de reparler de ces poésies Russes. Tous les écrivains cités ont eu des histoires littéraires, amicales voire d’amour entre eux. L’époque fut prolifique et j’ai ressenti le besoin de rendre hommage à ces poètes qui ont tous fini en tragédie… du suicide au goulag. Leurs textes me bouleversent.
« La Révolution Au Coeur » est une sélection de 13 auteurs retraduit avec mon ami André Markowicz qui est un homme extraordinaire. J’ai voulu mettre certains textes en musique et cela l’a motivé pour achever une traduction commencée il y a 20 ans ! Le seul auteur n’étant pas de l’époque révolutionnaire Russe est Alexandre Pouchkine qui est un écrivain hors pair. Tous les autres lui rendent hommage dans leurs écrits ! Il a un peu le rôle du « Christ » vis à vis des autres dans mon bouquin. Je profite de la tournée TÊTES RAIDES pour rencontrer le public lecteur dans les librairies spécialisées qui diffusent mon ouvrage.
Le futur projet est de mettre en musique ce livre qui deviendra un disque solo de Christian Olivier réalisé par Edith Fambuena. L’album verra le jour probablement au début de l’automne 2022. Je compte inclure des musiciens Russes dans cette production. Le but final sera de produire un spectacle incluant mes récits qui mènent d’un auteur à l’autre et de le présenter au public. Il y aura une formule concert (Christian Oliver et des musiciens Russes) et une version théâtre avec des comédiens.
DIEGO : Yolande fera partie de la troupe ?
CHRISTIAN OLIVIER : Non elle est plus motivée par Prévert que par les Russes ! Par contre elle a un projet de film pour lequel il n’est pas impossible que je compose la musique… affaire à suivre !
DIEGO : Un homme débordé ! Merci Christian, bon courage pour tes nombreux projets !
CHRISTIAN OLIVIER : Salut Diego !
- Remerciements : Christian Olivier
- Photos : Carolyn Caro
- Relecture : Jacky G.