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INTERVIEW #204 – I MUVRINI @ DIEGO ON THE ROCKS

INTERVIEW 204 : I MUVRINI

 

Le célèbre groupe Corse sera en concert le 24 octobre 2023 au Théâtre Fémina de Bordeaux. Créé en 1979 par les frères Figarelli, George Desbro et Jean-François Bernardini, I MUVRINI (« Les Petits Mouflons ») a enregistré 28 albums durant sa longue carrière parsemée de rencontres promouvant une culture insulaire conjuguée à une ouverture sur le monde. Jean-François Bernardini a accepté de répondre aux questions de Diego pour Musiques En Live.

Diego : 28 albums en plus de 40 ans de carrière, qu’est-ce qui motive Jean-François Bernardini de continuer à composer à 67 ans, l’âge passé de la retraite ?

Jean-François : J’ai encore 12 ans dans ma tête et c’est l’âge de l’âme et du coeur qui comptent ! Notre monde actuel a besoin d’artistes qui font résonner les miroirs de notre existence, la culture a le devoir d’alerter et de nourrir dans une société vide où nous sommes tous spectateurs et impuissants. Nous sommes debouts et nous devons porter cette conscience, cette lumière, cette lucidité sans se détourner. L’ art permet de faire face avec humour, beauté et singularité.

Diego : Raison pour laquelle votre dernier album s’appelle « Piu Forti », « Plus Fort » en Français ?

Jean-François : C’est illustré par des poissons sur la pochette qui donnent une leçon de démocratie citoyenne. Lorsqu’on est divisé, le prédateur triomphe. Si on arrive à être ensemble, conscients, lucides et organisés, le pouvoir du peuple l’emporte. Le prédateur se nourrit de notre tristesse et de notre résignation. Renversons la table avec talent et beauté !

Diego : C’est le cas avec votre dernier album sorti l’an dernier. « Plus Fort » est également un titre de Goldman datant de 1984 dans lequel il disait « Nous avons le droit d’exiger, nous sommes majoritaires, vous devez nous satisfaire (en parlant du pouvoir en place) ». Connaissiez-vous ce titre dont les paroles résonnent avec les vôtres ?

Jean-François : Non mais c’est marrant car on m’appelle le « Goldman Corse » !

Diego : Probablement parce que vous êtes tous les deux talentueux !

Jean-François : Ce n’est pas à moi de le dire mais nous essayons de donner du baume au coeur aux gens qui nous écoutent.

Diego : Votre album aux sonorités variées ressemble à un « melting-pot » musical ?

Jean-François : Nous avons une âme de musicien et sommes fascinés par les timbres. Un son fait voyager, nous évoluons avec 19 instruments différents sur scène et avons pour objectif de créer des alchimies, sans limite ni frontière.

Diego : Un titre comme « S’il Te Plait Papa » qui est sorti en single est tristement d’actualité ?

Jean-François : J’ai donné des centaines de conférences dans les écoles, prisons, universités, collèges sur le thème de la non-violence. C’est une clé pour réussir dans sa vie professionnelle et personnelle. Actuellement il y a 18 interventions des forces de l’ordre en France par heure pour des faits intra-familiaux et on apprend la violence sur les réseaux, à la TV et dans les salles à manger. C’est toxique et l’ONG Corse « Umani » (lancée en 2011 par Jean-François) est une boussole qui porte la bonne parole. Je pense être le seul artiste à avoir donné 550 conférences et touché 99 000 personnes sur ce sujet. « S’Il Te Plait Papa » est le regard d’un enfant qui donne l’alerte.

Diego : Lors de vos conférences, votre auditoire voit l’artiste musical, l’homme ou l’écrivain ?

Jean-François : L’ auditoire voit un mec qui prend un micro et le captive durant 2H30. Parfois les yeux pleurent, d’autres fois ils brillent. Si mon message n’avait pas de retour, je resterais chez moi. Les demandes sont exponentielles émanant des milieux sportifs, éducatifs et parentaux. Ils découvrent une parole entendue nulle part ailleurs. Il faut consacrer du temps à cette population réceptive en les prenant au sérieux.

Diego : On passe de « L’ éducation nationale » à « L’ instruction nationale » qui fait tant défaut à notre société !

Jean-François : Nous avons besoin d’armes d’instruction massive ! L’ école est le premier espace à nous ouvrir la porte et les enseignants sont démunis dans cette éducation populaire. Nous sommes tous concernés, faut-il en prendre conscience !

Diego : Une autre chanson au texte relevé de votre album s’appelle « Fin Du Monde Et Fin De Mois ». Lorsqu’on apprend ces jours-ci que la présidente du conseil Européen non élue gagne 35 000 euros par mois, ça frôle l’indécence !

Jean-François : Nous sommes dans un monde ou l’humain qui est le seul être vivant à pouvoir rougir n’a honte de rien. Le système préfère exclure. Il y a une répartition difforme de la richesse du monde et l’exclusion concerne directement les plus pauvres qui sont les premières victimes d’un défi écologique oublié. L’ oppression est omniprésente et la fin du monde nous guette…  autant que les fins de mois sont difficiles pour beaucoup de citoyens.

Diego : « Soigner cette peine, vaincre, vivre… »

Jean-François : C’est le combat d’une vie ! Il y a un chemin mais il faut sortir de l’impuissance dans laquelle nous sommes enfermés. Voter tous les 5 ans n’est pas suffisant, il faut voter tous les jours et l’interview que nous faisons ensemble en est un bon exemple… vous donnez la parole à un citoyen qui a quelque chose à dire et je vous en remercie. C’est pareil lorsqu’on monte sur scène devant un public. Donner, alerter, chanter, crier, mettre en lumière. Accompagner la « salutogénèse du monde ».

Diego : Une autre question sur une reprise de l’album : comment est venue l’idée de reprendre « Il Voyage En Solitaire » avec Gérard Manset dont l’original date de 1975 ?

Jean-François : Une chanson culte qui est dans la mémoire collective des Français. Gérard est doublement insulaire, un petit mouflon caché dans sa montagne. Depuis des années, son titre est souvent répété lorsque nous faisons les balances avec I MUVRINI. Par l’intermédiaire d’un ami, nous sommes entrés en contact avec lui, une rencontre, un repas et ce titre ensemble. Même s’il vit à l’écart, il a accepté et c’est un merveilleux cadeau de reprendre cette chanson plus contemporaine que jamais.

Diego : Vous avez écrit sur la religion à plusieurs reprises. Vous pourriez produire un nouvel album à ce sujet ?

Jean-François : Je pars du principe que dans toutes les traditions spirituelles, nous sommes chez nous, y compris concernant les athées. C’est une famille de religions, de traditions et la plus importante est la tradition humaine. La spiritualité est une nourriture, regardez au Brésil les travailleurs qui sont miséreux et disent tenir le choc grâce à la religion… c’est une source qui fait tenir debout les hommes. Une dimension mystérieuse à laquelle on adhère ou pas. Les anciens apprennent aux plus jeunes qu’il y a une connexion entre les vivants mais également avec la nature, les arbres et tout ce qui nous entoure. Les éléments, les animaux. Une relation précieuse, importante, que nous chantons. La polyphonie nous élève, quelle soit chantée dans une église, une mosquée ou une synagogue et les occasions spirituelles heureuses et malheureuses sont importantes. La polyphonie Corse nous porte ailleurs.

Diego : Dans cette interview, la polyphonie nous a porté en Corse, au Brésil et vous serez le 24 octobre 2023 en concert au Théâtre Fémina de Bordeaux. A quoi doit s’attendre le spectateur pour cette nouvelle tournée I MUVRINI ?

Jean-François : Pour le novice, ce sera un canal inattendu car la musique Corse est peu diffusée et n’est pas l’image que l’on se donne de trois types qui chantent avec la main sur l’oreille ! Venir voir I MUVRINI c’est une invitation au voyage. On passe du blues au pop-rock, à la poésie et à l’humour. C’est une musique qui ouvre les bras à l’humain. Notre port d’attache est la Corse, notre destination est le monde. Les spectateurs verront le petit village Corse durant 2 heures 30 sur la scène du Fémina de Bordeaux.

Diego : Quel est votre endroit préféré en Corse ?

Jean-François : Celui où la porte est ouverte et où vous êtes bien accueilli. L’endroit où quelqu’un vous attend, l’être humain est programmé pour être connecté avec 150 personnes, la taille d’un village ! Cela n’empêche pas un lien avec le reste du monde.

Diego : J’adore votre réponse ! Avec le groupe, avez-vous un rituel avant d’entrer en scène ?

Jean-François : Nous avons toujours une intention plutôt qu’un rituel. Aujourd’hui dans le journal, je lisais un article sur les pesticides dans le vignoble Bordelais. Cela pourrait être une intention positive le 24 octobre car j’ai confiance en l’être l’humain.

Diego : Dernière question, quel concert vous a le plus marqué en tant que spectateur ?

Jean-François : Un bon concert est celui où vous prenez une claque. Sans hésiter Springsteen à Bercy il y a quelques années. Néanmoins j’ai souvent eu de bonnes surprises avec des jeunes inconnus qui donnent des spectacles édifiants. Empathie, intelligence, beauté sont des termes appropriés.

Diego : Merci beaucoup Jean-François, on se retrouve le 24 à Bordeaux !

Jean-François : Merci Diego.

  • Remerciements : Anne-Claire Galesne
  • Photos : Isabelle Pautrot