Hiromi – Auditorium # Live report @ Franck Hercent
Hiromiraculeuse !
« Nous ressentons tant de passion et d’amour pour la musique que je me sens une étincelle à chaque concert » déclarait Hiromi lors d’une tournée mondiale accompagnée du phénoménal Anthony Jackson (Michel Camilo, Paul Simon, Chick Corea…) à la basse et du colossal Simon Phillips (Toto, The Who, David Gilmore…) à la batterie. « L’un des groupes les plus dynamiques de notre temps » pour reprendre les termes du magazine Downbeat.
Hiromillésime 2019 : auditorium de Bordeaux, seule, en ouverture de la 10e édition du festival « l’Esprit du piano » pour son unique concert en France. Seule face à l’infini de la musique. Et autant dire d’emblée que sa prestation fut à la hauteur de la gageure et que ses phrases résonnèrent comme autant d’ondes sismiques sur l’océan du jazz. Il y a des moments inoubliables dans une vie car l’instant est décisif. Un livre peut faire cet effet-là, une visite au Louvre, un paysage, une rencontre, un visage… Que sais-je ? Le moment reste à jamais engrammé. Vous ouvre des perspectives. Cette soirée en fut. Et l’étincelle alluma un brasier de bravos.
Hiromiss. Elle assume son statut avec un brio déconcertant, une simplicité tranquille. Une joie de jouer sincère. Véridique. N’est-ce pas la meilleure définition du jazz ? Rarement dans l’histoire du jazz pianiste féminine porta si haut la technicité jazz avec un tel naturel, une générosité communicative, une authenticité évidente pour devenir l’une des plus grandes figures du piano jazz du 21° siècle.
Hiromise à feu. Mercredi 13 novembre. 20 H 00. Embarquement immédiat. Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un… Décollage assuré. Hirominimum garanti… Yeux de jais pétillants ; cheveux en pétard ; démarche souple ; féline ; large sourire ; gestes assurés ; chatte sauvage. Elle commença donc par une pièce intitulée Kaléidoscope comme pour rappeler que la musique peut être un instrument d’optique réfléchissant à l’infini et en couleurs la lumière extérieure. Do noir, Ré blanc, Mi rouge, Fa vert, Sol bleu… Je dirai quelque jour vos naissances swinguantes. Puis, elle enchaîna avec deux autres compositions Yellow Wurlitzer Blues et Whiteout. Cette dernière ayant été écrite dans la neige. Des notes qui pleuvent, qui flottent et se posent avec des douceurs de flocons. Hiromilligramme. C’est du lourd !
Inutile d’énumérer son parcours, il donne le tournis. Mais, comme toute créatrice, elle s’inspire de la vie de tous les jours. Elle ne pense pas que l’inspiration peut-être trouvée uniquement lors de très fortes émotions ou lorsqu’un événement dramatique apparaît mais dans la simplicité de la vie quotidienne pour autant qu’on sait la regarder… Comme on la comprend…
Son album SPARK raconte ce schème mental, ce schéma cognitif. Disque bréviaire pour celui qui chercherait une méthode ; lettre à un jeune jazzman ; Hiromissive ; lettre et le nom ; mode d’emploi pour tout poète qui se respecte : on ne naît pas flamme, on le devient. Hiromi l’a construit en 9 titres « comme un livre serait composé de chapitres » dit-elle : “l’étincelle” (Spark) vous saisit et vous plonge dans une transe (In a transe), vous transporte ailleurs (Take me away), un ailleurs fabuleux (Wonderland) jusqu’à la redescente où revient l’éternel dilemme (Dilemma) où il faut concilier avec “indulgence” le principe de réalité et le principe de plaisir… mais ce qui sera sera (What will be, Will be) ! Vous avez fait provisions suffisantes de visions… Et on se réveille (Wake up and dream) en douceur… Tout est bien (All is well). Tout cela étant symbolique, bien sûr, mais ce fut à peu près la sensation que nous eûmes ce soir pendant le concert.
Ce schéma de la transe est ancien. Magnifiquement décrit dans l’Ion : le fameux dialogue de Platon. Les poètes communiquent entre eux formant une véritable « chaîne d’inspirés ». Pas étonnant donc que l’on retrouve dans le panthéon d’Hiromi aussi bien les guitares éclectiques de Jeff Beck, de Frank Zappa que les compositions de Beethoven, Bach, Franz Liszt, Oscar Peterson ou Hamad Jamal… Lequel, hiératique, enchanta encore cet été le chapiteau de Jazz In Marciac dont la pianiste est une fidèle. L’inspiration poétique est donc pareille à la pierre d’aimant, qui peut attirer un anneau de fer, lequel devient à son tour aimanté et peut attirer un nouvel anneau. Hirominérale. Pas étonnant non plus qu’Hiromi livra ce soir des interprétations toutes personnelles, aimantées et transportées de Georges Gershwin (Rhapsody in various shades of Blue), de Paul Mc Cartney (fulgurante improvisation sur Blackbird) et, bien sûr, de l’inénarrable et immarcescible Mr C C. C’est peu être un détail pour vous mais pour moi ça groove beaucoup… Dialogue entre poètes oblige ! On les retrouve tous deux, dans cet excellent clip ludique, dansant et en ménage… A voir absolument !
Pas surprenant donc que l’on retrouve dans ces dialogues successifs les influences de compositeurs qui franchissent allègrement les frontières stylistiques. Et toujours le phrasé d’Hiromi est poussé à un tel niveau de sophistication et de complexité qu’il s’impose pourtant avec l’évidence et la force de la foudre. Sans maniérisme pour autant ! Comme si elle voulait balayer tout le spectre lumineux que contient l’étendue de son clavier noir et blanc. Son phrasé tombe du ciel. Hiromissile ! « Utiliser les mots de tout le monde et n’écrire comme personne” lançait Colette. Alors que comparativement, l’alphabet a 26 lettres alors que la gamme ne possède que 7 notes. Mais est-ce comparable ou complémentaire ?
Juste une précision
En termes sémantiques ;
Sachez chers moussaillons
Quelle est notre technique :
On ne cherche pas à vous
Emberlificoter… ;
Une chanson cherche à vous
« Embopbeliner »… oué !
C’est-à-dire que, loin
De vous berner, elle veut
Vous emmener dans les coins
Les plus Hiromineux.
Même virtuosité pendant les rappels pour un public debout ovationnant la pianiste japonaise. Elle nous laissa en guise d’au revoir une image : sa composition Sepia effect issue de son dernier opus Spectrum… Comme une photo souvenir. Un instantané. L’image de l’une des meilleures pianistes de sa génération.
Ce soir-là ! Elle donna
Le meilleur d’elle-même ;
Ce soir là, elle se donna…
C’est pour ça qu’on l’aime.
La plus bop des filles ne peut donner que ce qu’elle a. Elle qui commença presque par hasard la musique. Enfant, n’ayant personne pour la garder, sa mère la laissa au fond de la salle pendant le cours de piano de son frère. Entendant le groupe chanter, elle se mit alors aussi à chanter spontanément. On lui demanda de sortir… (sic). Plus tard, lorsqu’elle rencontra le jazz pour la 1 ère fois, elle confie se souvenir : « Je ne pouvais juste pas m’empêcher de danser sur la musique… Mon corps bougeait tout du long et c’est alors que j’ai réalisé que ça s’appelait swing. » Aujourd’hui encore, ces mouvements ne l’ont pas quittée. Tout se passe comme si la musique venait de son corps, ses jambes dansant sous le clavier. Expressive, chaleureuse, elle donne ce qui danse en elle. Mais certains ont une telle générosité qu’en en prenant qu’un peu on est déjà comblé. Une fois qu’elle eut fini de jouer, le silence était encore d’elle… Un silence de swing, bien entendu. Hiromirobolante !
Franck Hercent
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