
INTERVIEW JEAN-CLAUDE CAMUS @ DIEGO ON THE ROCKS
INTERVIEW #254 : JEAN-CLAUDE CAMUS
Jean-Claude Camus n’est pas un simple producteur, il est LE producteur musical ! Inventeur dans les années 70 d’un nouveau métier, il créé cette fonction consistant à gérer professionnellement la responsabilité d’un spectacle en réunissant les éléments dus à la création et à la représentation d’une œuvre en assumant les moyens techniques et financiers.
Notre chroniqueur Diego a rencontré l’octogénaire lors du festival ODP en juin 2025. Remerciements particuliers à Eric Jean-Jean, parrain de cet évènement à but caritatif qui a fêté sa dixième édition.
Diego : Mon surnom est Diego, vous ne pouviez pas refuser cette interview en hommage à Michel Berger et Johnny Hallyday ! (rires)
Jean-Claude Camus : Effectivement ! C’est un grand souvenir qui n’était pas acquis au départ. Johnny avait fait deux albums avec Pierre Billon et Jean Renard qui n’avaient pas fonctionné. Lors d’un concert au zénith de Johnny, j’ai invité Michel Berger et France Gall qui étaient « dans mon écurie » à venir voir le concert et à diner. Le but était que Johnny demande à Michel une chanson mais les deux hommes étant timides, ils n’osaient pas. Lors du dessert, Johnny se lance et Michel a pris tout son temps pour lui répondre en disant : « Non Johnny, pas une chanson. Un album ! » C’est ainsi qu’est né « Rock n’Roll Attitude » en 1985 et c’était incroyable.
Diego : Concernant le festival ODP, vous souvenez-vous de votre première rencontre avec son parrain-fondateur Eric Jean-Jean ?
Jean-Claude Camus : Il y a bien longtemps ! Je suis un grand fidèle de RTL avec toutes les organisations et Eric a beaucoup travaillé avec Johnny sur certains spectacles dont ceux du Champs de Mars en 2000 et 2009. Il m’avait fait une surprise en connivence avec mon assistante et avait retrouvé une affiche de mon premier spectacle le 14 juillet 1959 à Conches dans l’Eure ! En allant chercher Johnny en loges, j’entends Eric sur scène qui annonce au public qu’on accueille Jean-Claude Camus… en 2009, nous avons donc fêté dignement mes 50 ans de carrière en public devant 600 000 personnes et il m’a remis cette affiche ! Une émotion dont on ne sort pas indemne.
Diego : J’imagine l’émotion ! Plus récemment, vous étiez aux obsèques de l’écrivain, journaliste, parolier et cinéaste Philippe Labro ?
Jean-Claude Camus : Oui avec Laetitia. Un grand patron de RTL d’une gentillesse et d’une disponibilité incroyables. Il a écrit beaucoup de chansons pour Johnny, un homme simple. Je suis triste d’avoir perdu également récemment Nicole Croisille que j’ai beaucoup aimée.
A bientôt 87 ans, c’est bizarre de voir les autres partir et il ne restera plus personne à mon enterrement ! (rires)
Diego : L’incontournable Michel Drucker ! (rires)
Jean-Claude Camus : Qui était évidemment présent aux obsèques de Philippe Labro !
Diego : Plus sérieusement, comment le métier de producteur a changé en 60 ans de carrière ?
Jean-Claude Camus : Le métier a totalement changé financièrement. Le jour où mon ex-associé a vendu sa société à Fimalac, Johnny avait besoin de 12 millions d’euros deux ans avant une tournée ! Du jamais vu ! Un ami m’en a informé et Johnny est parti chez Gilbert Coullier qui avait les reins solides. Après 35 ans de complicité, ce fut très difficile. Heureusement, Laetitia nous a réconciliés à Bruxelles 4 ans plus tard. Cet homme est toute ma vie et j’ai pu être à ses côtés sur les deux dernières années de son existence. Je lui dois toute ma réussite.
Diego : D’ailleurs quelle est votre plus belle réussite ?
Jean-Claude Camus : J’ai eu cette chance d’en avoir beaucoup. Johnny, Sardou, Jean-Michel Jarre à Moscou et au Caire, Lara Fabian, Lavilliers… mon Christophe Maé qui est très fidèle et qui fait une belle carrière. J’ai eu beaucoup de chance et de plaisir.
Diego : A contrario, le plus mauvais souvenir reste l’annulation de Johnny au Stade de France ?
Jean-Claude Camus : Oui, je prends la parole devant 80 000 personnes pour « la mort dans l’âme ». Les spectateurs étaient sous la flotte depuis le début d’après-midi. Il a fallu s’organiser avec la préfecture et c’est Michel Drucker qui devait annoncer l’annulation. A ce moment là, il s’est éclipsé ! Il est parti avec Johnny en disant que Camus allait se débrouiller… tout simplement.
Diego : Il n’a jamais été question que Johnny apparaisse pour annoncer l’annulation ou le report lui-même ?
Jean-Claude Camus : Non. C’était interdit par le préfet et l’idée était mauvaise. Mon directeur de scène m’a demandé si j’avais préparé quelque chose, ce n’était pas le cas alors j’ai improvisé cette « mort dans l’âme » qui, je crois, restera.
Diego : Et quelles seraient les 5 plus belles minutes de votre carrière incroyable ?
Jean-Claude Camus : J’ai créé mon métier qui n’existait pas. Raison pour laquelle les professionnels me respectent. Nous avons stoppé le bénévolat des années 70 car à la fin des spectacles, il n’y avait plus personne pour recharger les camions ! Après Dick Rivers et les Chats sauvages, j’ai acheté Johnny Hallyday le 15 mars 1975 à Rouen. J’ai vendu du Johnny partout et la profession savait que l’organisation était carrée car « c’est Camus qui s’en occupe ». J’ai organisé Supertramp et Johnny est venu me voir après nos premières collaborations pour me demander de m’occuper de lui. Ces 5 minutes sont incroyables et je n’aurais jamais imaginé que cela arriverait. Mon livre en parle.
Diego : Qu’est devenu la Harley Davidson qu’il vous a offert à Saint Tropez ?
Jean-Claude Camus : Elle n’a pas duré longtemps. Johnny me l’avait livrée dans le jardin et c’était pour remplacer mon scooter que Johnny ne pouvait plus voir… on me l’a volée un mois plus tard dans mon garage !
Diego : Et le retour de Michel Sardou, que pensez-vous de ces artistes qui n’arrivent pas à quitter la scène ?
Jean-Claude Camus : Il n’est pas parti et il reviendra ! Michel était un très grand chanteur mais il a du baisser ses tonalités car il n’arrivait plus à chanter. Contrairement à Johnny qui s’améliorait avec le temps ! Néanmoins Michel a fait une belle carrière mais le grand maitre reste Hugues Aufray qui fait toujours des concerts à 96 ans ! Incroyable. Je ne serai pas comme lui à son âge…
Diego : Moi non plus, je pense que je n’y arriverai pas ! Madonna au Parc de Sceaux et la culotte de Chirac, c’est une légende ?
Jean-Claude Camus : Oui ! Grace à Jacques Chirac, le concert a eu lieu malgré un maire réfractaire. Heureusement, Charles Pasqua a décidé de maintenir le spectacle. J’attendais 80 000 personnes, il y en a eu 130 000…
Diego : Une autre époque !
Jean-Claude Camus : Les médias ont complètement changé. Depuis l’affaire des 12 millions de Coullier à Johnny, les avocats d’artistes s’emparent des contrats et on ne parle plus de carrière mais de pognon. Je ne pourrais plus exercer dans les conditions actuelles. La fidélité n’existe plus.
Diego : A l’Américaine ! Valable dans la musique comme dans de nombreux autres domaines médiatiques et pourris par l’argent. Reste t’il des inédits de Johnny qui dorment au chaud avant d’être publiés ? Tous les ans avant noël, on a le droit à un inédit avec un best-of…
Jean-Claude Camus : C’est vrai. Je pense qu’il doit rester des inédits mais probablement pas les meilleurs titres sinon nous les connaitrions. Vous enregistrez 15 chansons pour un album qui en contient 12 donc il y a toujours des chutes de studio…
Diego : Côté gestion, vous avez toujours vos théâtres Parisiens ?
Jean-Claude Camus : Non c’est fini, j’ai tout vendu ainsi que ma société. Je ne m’occupe que du zénith de Saint Etienne que j’ai ouvert avec Johnny en 2008 après une résidence. Je conserve sa gestion, il est magnifique et son design est une oeuvre d’art.

Diego : Avez-vous déjà assisté à un concert à Arkea Arena de Floirac ?
Jean-Claude Camus : Non pas encore. Je connais le directeur et ayant une résidence en gironde, je viendrai.
Diego : Le son est incroyable et nous en sommes très fiers ! C’est le même propriétaire et la même génération que celui d’Aix en Provence.
Jean-Claude Camus : Je connais celui d’Aix. J’y ai vu Indochine récemment à deux reprises, un spectacle extraordinaire.
Diego : Aviez-vous un rituel avec vos artistes avant qu’ils montent sur scène ?
Jean-Claude Camus : Non car chacun à son rituel propre. Je pourrais ouvrir un cabinet de psychologues ! Il faut s’adapter. Par exemple, j’accompagnais Johnny après avoir mis en retrait toutes les personnes qui voulaient le voir de près entre sa loge et la scène. Parfois, il avait 1 heure 30 de retard à cause de ça !
Diego : Quels sont les plus beaux concerts que vous ayez organisés ?
Jean-Claude Camus : Sans hésiter, le premier concert de Johnny à la Tour Eiffel au Champ de Mars. L’artiste était dans une forme extraordinaire et le show monumental. Ensuite, sa tournée des stades durant laquelle nous avons vendu 1 million de tickets. D’ailleurs Indochine va prochainement nous battre, c’est mon neveu qui s’en occupe, Nicolas Coullier.
Diego : Ça reste dans la famille !
Jean-Claude Camus : Il est content comme tout !
Diego : Et la gestion du stress ? Comment cela se passe t’il compte tenu des enjeux ?
Jean-Claude Camus : Je ne suis pas d’une nature stressée. Par exemple pour la Tour Eiffel, nous avions 250 techniciens et autant de sécurité. Si le patron montre son stress, ça décuple. Par contre, deux ou trois nuits avant ces shows immenses, je me demandais ce que j’avais pu oublier. C’est arrivé un soir alors que j’étais à Lyon pour Sardou et que je me suis questionné pour Lavilliers le lendemain à Marseille. Nous n’avions pas de chapiteau pour Marseille ! Un oubli ! Par miracle, on en a trouvé un à la dernière minute.
Diego : Et vous n’avez jamais travaillé avec Goldman ?
Jean-Claude Camus : Non pourtant c’est le seul que j’ai démarché car le potentiel était énorme. En 1981, j’ai été le voir mais il était géré par Thierry Suc et son frère.
Diego : Merci infiniment pour cette rencontre M.Camus !
Jean-Claude Camus : Avec plaisir.
- Remerciements : Eric Jean-Jean (RTL2)
- Photo : officielle du livre
- Relecture : Jacky G.