INTERVIEW #220 – DIONYSOS @ DIEGO ON THE ROCKS
INTERVIEW 220 : DIONYSOS
Le quinquagénaire Mathias Malzieu est un artiste talentueux qui fêtera les 30 ans d’existence de son groupe Dionysos durant toute l’année 2024. Né à Montpellier, il fonda son groupe à Valence et le collectif a publié 10 albums studios depuis 1993 en fidélisant un public fan de rock et d’univers surréalistes.
Lors d’un récent passage au Krakatoa, notre chroniqueur Diego a rencontré le musicien-écrivain sous l’oeil de la photographe Alexia @troubleshooteur. Tous deux remercient particulièrement Anael du label discographique Tôt ou Tard ainsi que Gabriel, responsable communication de la salle la plus rock de Bordeaux prochainement en rénovation.
Diego : Suite à ton accident (double fracture tibia-péroné) récent après le premier concert, la tournée a t’elle été menacée de report ?
Mathias : Après ma chute, j’ai tout de suite envisagé (dès l’hôpital) l’idée d’inventer un siège permettant la poursuite de l’aventure. Après l’opération, j’étais censé avoir un arrêt de travail jusqu’à fin mai et une recommandation des infirmiers de ne pas brusquer ma jambe jusque début avril… J’avoue que la nuit je ramasse et ma double fracture me lance… néanmoins l’idée du fauteuil « Giant Jack » qui est le personnage fil-rouge du spectacle a paru une évidence notamment dans les paroles : « Giant Jack is on my back ». Sébastien Monchal qui a illustré le livre et le disque m’a conçu un fauteuil sur mesure avec l’aide de Lucie, conceptrice pour le cinéma en s’aidant d’IA. Au final, le lundi suivant mon accident, le projet était validé et nous avons repris la route 15 jours après en annulant 3 concerts.
Diego : Tu as failli être dans le Guinness book pour 40 secondes de concert ?
Mathias : J’ai toujours rêvé d’y être mais il me semble qu’il faut un huissier sur place et qu’il n’est pas possible de valider un record sur de simples vidéos. En gros, il faut prévoir de se casser la jambe sur scène ! Les concerts de Nimes, Dijon et Grenoble ont été reportés.
Diego : En quelques mots comment sont passées les 30 années de Dionysos ?
Mathias : Nous sortons une biographie qui s’appelle « La Mécanique de l’Extraordinaire » écrit par Morgan Kervella, journaliste à sud-ouest et son projet est un regard extérieur à travers ses interviews. 30 ans c’est une fusée… j’ai l’impression que le groupe à 3 ans comme 300 ans ! « Lorsqu’on perd la notion de temps, on gagne le sens du temps » dixit l’écrivain Kerouac et son personnage Dean Moriarty. On retrouve également ce type de réflexions chez le philosophe Henry David Thoreau qui a inventé la désobéissance civile. Il n’était pas juste un râleur mais s’est isolé dans une cabane durant 2 ans et demi au 19ème siècle pour ne pas subir son gouvernement. Il déclarait que l’expression la plus laide au monde était « tuer le temps ». Mieux vaut vivre que tuer le temps et cela s’applique bien avec Dionysos. Nous n’avons jamais tué le temps, avons vécu plusieurs vies et cela est passé très très vite.
Diego : Concernant le livre et étant donné que tous les membres de Dionysos ont été interviewés, étiez-vous ensemble ou « en solo » ?
Mathias : Nous avons tous vécu des situations similaires avec un ressenti différent. Les entretiens avec Morgan étaient « solo » et les questions concernaient soit le groupe, soit des membres en particulier. C’est une question de pudeur, ta réponse est différente si tu es seul ou en groupe.
Diego : 2024 est une année « extraordinaire » comme le précise le livre et le disque, est-ce un choix uniquement symbolique ?
Mathias : C’est pour marquer les 30 ans. Au festival de Montaigu en 2021, plusieurs lecteurs / auditeurs m’ont posé des questions sur les personnages des différents univers et des liens entre tous mes livres. J’ai beaucoup aimé la réflexion et me suis imposé une timeline de 1860 à 2022 sous forme d’arbre généalogique afin d’écrire des « spins-of » de mes livres et personnages. Evidemment, mes écrits étaient émaillés de chansons de Dionysos. Pour les 30 ans, je souhaitais un livre et l’idée a muri de réécrire nos chansons avec des copains et en profiter pour une tournée anniversaire. C’est ainsi que le projet « Extraorinarium » est né, entre des nuits de travail, une tournée avec Daria en cours, le choix des invités et les arrangements avec Olivier Daviaud pour la phase cinéma du disque.
Diego : D’ailleurs concernant les invités de « Extraordinarium », ont-ils eu carte blanche ou orientais-tu significativement le résultat final escompté ?
Mathias : C’est toujours un échange. Tout d’abord valider le titre sélectionné puis la magie du studio. Les surprises dans un cadre qui doit rester souple. Evidemment il y avait une idée de départ ! C’est comme si tu invitais quelqu’un chez toi en lui disant « prends dans le frigo ce que tu veux ! » Nous avions un cadre de base qui était agrémenté par l’invité concerné, exactement ma façon de procéder lorsque je travaille avec Dionysos et que j’arrive avec mes démos et qu’on en fait des chansons. Elles ne naissent pas sur des jams et la base demeure malléable.
Au début, nous avions un fantasme d’inviter des artistes comme Orelsan ou Angèle qui sont loins de nos univers pour revisiter nos titres. Rapidement, le choix des artistes avec qui nous avions déjà une histoire commune musicale s’est imposé. Par exemple, nous avons vécu nos premiers émois scéniques avec Dolly (et Manu) lorsqu’on a joué en première partie pour eux dans les années 90.
Autre exemple pour Matthieu Chedid : Je l’ai croisé par hasard 3 jours avant ma greffe de la moelle osseuse en 2013. Je lui ai parlé d’une lettre de ma grand-mère retrouvée par mon père et il est passé chez moi pour enregistrer ce morceau au piano-voix afin d’éditer un disque vinyle tiré à 300 exemplaires ! Aucune pression et c’est le début de l’histoire « Le Guerrier De Porcelaine » écrit après ma greffe.
Autre histoire avec Arthur de Feu! Chatterton : En 2016 on se croise sur un plateau et il jouait « Western Under The Snow » avec son groupe. Il me raconte une anecdote dans le métro Parisien, il m’avait rencontré à l’âge de 15 ans et m’avait dit qu’il était fan de la chanson « Don Diego 2000 ». D’ailleurs, ce jour là je lui ai fait cadeau de mon premier roman qui venait tout juste d’être publié ! Cette chanson lui rappelle sa jeunesse avec son frère et lorsqu’on s’est recroisés sur un plateau et qu’il était entre temps devenu chanteur, il me paraissait naturel que les invités sur notre disque aient un « sens historique » plutôt que des featurings de renom malgré toute l’estime que j’ai pour eux.
Autre anecdote avec l’écrivain Bernard Werber chez Albin Michel au début du Covid. J’étais récemment en couple avec Daria et il m’a prêté sa maison de campagne pendant deux mois afin que nous ne restions pas entassés dans mes 30m2 Parisiens ! J’en ai profité pour écrire « Le Guerrier de Porcelaine », l’écrit sur mon périple Paris-Dusseldorf en vélo électrique pour rejoindre ma donneuse de moelle osseuse ainsi que mon roman « Le Dérèglement Joyeux de la Métrique Amoureuse ». Tout ça à la table de Bernard Werber ! C’est un ancien journaliste scientifique pour Le Nouvel Observateur et la chanson « Tuto Pour Marcher sur l’Eau » aux influences « Charlie », surréalistes et au style pastafarisme. C’est la raison pour laquelle je voulais qu’il fasse le commentaire sur le disque. Je ne vais pas te raconter les 15 invités mais tu as déjà 4 beaux exemples sur la genèse du projet et le choix des invités !
Diego : Et un titre comme « Coccinelle » qui a 25 ans a musicalement très bien vieilli !
Mathias : Effectivement la version de l’album « Haiku » a bien vieilli et nous aimons rejouer des titres volontairement oubliés durant quelques tournées. Pour faire plaisir au public, il faut se faire plaisir sur scène.
Diego : Steve Albini (NdA : décédé depuis cette interview) et John Parish sont des producteurs – déclencheurs du succès de Dionysos ?
Mathias : Bien sûr mais Daniel Presley également. Il est moins connu et a bossé avec Grant Lee Buffalo et les Breeders ! Mike a bien pris la relève et il n’est pas exclu qu’on sorte un disque prochain avec un réalisateur extérieur pour sortir de notre confort.
Diego : Sur les 10 albums publiés, l’un d’entre-eux a été plus difficile que les autres ?
Mathias : Le plus complexe est « La Mécanique du Coeur » car il comprend 8 invités et une heure de musique avec un orchestre symphonique. Tout cela enregistré dans la cuisine de Mike ! Sinon notre dernier en date, 15 invités pour « Extraordinarium » avec 4 faces avec des ambiances différentes… les 15 jours de studio ont été intenses !
Diego : Qu’aimais-tu chez McEnroe dont je te sais fan ?
Mathias : Un tout ! Beaucoup de mes chansons parlent d’hypersensibilité (avec amour ou deuil) et j’aimais le côté « à fleur de peau » de John McEnroe. Il jouait au tennis comme Picasso peint, avait des prises de raquettes non orthodoxes, avait peu d’appuis, jouait en demi-volée mais son mauvais côté était ses colères sur le terrain. Il avait un sentiment d’injustice qui me touchait ! Cette hypersensibilité là me parle.
Diego : Pour le superbowl 2024, imaginons que Dionysos est désigné pour jouer à la mi-temps durant 12 minutes ! Quelles chansons jouez-vous ?
Mathias : Pour le superbowl il faut que ça envoie ! Je dirais « Giant Jack « , « McEnroe’s Poetry » et « Song for Jedi ».
Diego : Avez-vous un rituel avant de monter sur scène ?
Mathias : Oui. Un petit calin en rond qui dure 1 minute sans nécessairement parler. C’est important de se rassembler d’autant plus que je n’entre pas en même temps que mes camarades sur scène.
Diego : Pour finir la question habituelle de tes meilleurs concerts vécus en tant que spectateur ?
Mathias : En 2000, Tom Waits au Grand Rex de Paris. Un conteur d’histoires avec une intensité rock n’roll en y mêlant de l’improvisation, de l’émotion, du rire et des surprises. Bjork au festival Benicassim en 1998 avec un quatuor à cordes et Mark Bell au beatmaking. Elle commence sur « Hunter » avec des costumes de folie et propose de la magie sur scène. Le rappel sur « So Broken » avec un guitariste flamenco est incroyable dans un festival Espagnol. Enfin, Nick Cave en piano-voix à Genève avec Warren Ellis et Jim Scavunos à la batterie. Il attaque par « The Mercy Seat » et tu as l’impression de voir Elvis déguisé en Dracula qui joue du Leonard Cohen ! Après j’ai vu Les Beastie Boys à l’Élysée Montmartre, Nirvana à Grenoble, Pixies au zénith… beaucoup de références !
Diego : Merci Mathias pour cette belle interview, à très vite !
Mathias : Merci à vous deux.
- Remerciements : Anael de Tôt Ou Tard
- Photos : Alexia @troubleshooteur
- Relecture : Jacky G.