INTERVIEW #224 – MAKJA @ DIEGO ON THE ROCKS
INTERVIEW 224 : MAKJA
Ancien animateur social puis candidat à The Voice saison 8, Makja continue les projets de médiation tout en publiant des albums qui racontent la vie et ses inquiétudes. L’artiste poète-slameur de 43 ans était récemment avec une école du sud-gironde pour produire un spectacle composé de cycles d’ateliers d’écriture débouchant sur une mise en voix. Il a accepté de rencontrer Musiques En Live avant de donner un concert sur la commune de Saint-Macaire.
Diego : En quelques mots, qui est Makja ?
Makja : Je suis un auteur-compositeur-interprète français qui aime les mots et qui pense que ceux-ci peuvent jouer un rôle dans nos vies quotidiennes.
Diego : « Si tu ne viens pas au maquis, Makja viendra à toi ! »
Makja : L’idée était de montrer que le but d’une chanson est d’aller à la rencontre du public qui ne nous connait pas. Parfois même l’esthétique peut provoquer une certaine distance. Lorsqu’on est artisan, le but est de faire goûter et ressentir sa chanson. Donc si les gens ne viennent pas à Makja, c’est moi qui viendrais les saisir là où ils ne m’attendent pas !
Diego : Une belle devise ! A l’origine, comment es-tu venu à la musique ?
Makja : J’ai commencé par les mots. Jeune j’ai compris qu’ils avaient un pouvoir et mes parents m’ont enseigné les mots magiques que sont « s’il te plait, au revoir et merci ». Outre la bienséance, ils peuvent mettre à distance, déclencher un sourire, être régionaux, faire et rompre le lien… avec le temps j’ai créé mes propres textes dans une culture hip-hop. La rythmique et les thèmes sont toujours d’actualité et je pense que les écritures urbaines sont contemporaines. Du rock au rap en passant par la chanson française, il y a un fil conducteur qui ressemble à un parfum social, de Renaud à IAM. Pour la musique je m’entoure d’artistes mais j’arrive à donner une première coloration à mes chansons sous forme de dessins qui influeront sur le texte. Celui-ci vient après la musique dans leur conception, comme la B.O. d’un film qui donne le scénario à venir.
Diego : Tes deux productions récentes (« Ne Te Retourne Pas » et « Sessions Vivantes II ») sont entre l’album et l’EP ?
Makja : Oui, deux fois 7 titres. La première formule Makja était un quintet rock qui n’a pas produit beaucoup de chansons. Je suis revenu au basique pour travailler en duo avec soit un pianiste, soit un guitariste. Ces répertoires différents ont créé « Ne Te Retourne Pas » au piano et « Sessions Vivantes II » avec guitare et violoncelle.
Diego : Peux-tu me parler de la chanson « Tempérament », empreinte de colère et de résignation ?
Makja : C’est un texte commencé il y a quelques années sur le climat social. Suite à la crise des gilets jaunes et en l’absence d’une phase constructive de dialogue, la population a été « nassée » et j’ai ressenti le besoin d’émettre un clin d’oeil à ces gens-là. Je pense que la société médiatique a montré les mécontents comme de vulgaires insectes et c’est pathétique. La revendication de ces travailleurs était légitime.
Diego : On retrouve le même esprit dans la chanson « Tout Va Bien », cette fois avec un hommage au film « La Vie Est belle » de Benigni ?
Makja : Oui, l’influence est réelle et le but est de dire à son gamin que malgré le climat malsain ambiant, on va trouver une solution.
Diego : Quelles sont tes références en chanson française ?
Makja : D’abord Ferré car enfant j’avais l’impression qu’il revenait visuellement de l’enfer. Musicalement, Nougaro me parle davantage. Ses albums s’inspirent de plein d’influences. Me concernant je n’ai pas envie d’être lisible et préfère proposer des musiques variées, Nougaro savait le faire contrairement à Brassens qui était plutôt linéaire. Les rencontres sont importantes et les trajectoires de Bashung ou Arthur H m’inspirent également.
Diego : Tout comme Thiéfaine qui mérite plusieurs écoutes attentives pour être compris ! Considères-tu le rap comme de la variété française ?
Makja : Il y a un phrasé dont je me sens originaire. Avant le rap ressemblait à un bruit de musique saccadé inaudible sauf pour les oreilles averties ! Ne pas être intelligible ne voulant pas dire ne pas être intelligent, la pertinence est là. La densité d’un texte de rap est énorme et des mecs comme Furax, Scylla ou Brav apportent beaucoup de matière. La langue rebondit et qu’on soit d’accord ou pas avec un texte, le talent est présent. Dans l’urbain, Piers Faccini et Portico Quartet m’inspirent autant dans le texte que dans la musique.
La première fois que je suis allé chez Francis Cabrel aux rencontres d’Astaffort, j’avais du mal à avoir un propos concis compte tenu de ma « formation hip-hop ». Un chansonnier a du mal à écrire deux pages sur une thématique alors qu’un rappeur sera plus volubile. Ces rencontres m’ont permis de comprendre ce qui animait les uns et les autres et comment le dire autrement. La forme et le fond sont importants.
Diego : Parle-moi de tes interventions dans les écoles ?
Makja : J’ai commencé à la fin des années 90 car j’étais animateur de quartier. J’ai lié mes deux passions que sont le rap et le foot et j’ai appris les sensibilités de chacun avec le temps. L’émotion, les mots, le passé, la façon de s’exprimer sont des atouts qui nous sont propres. J’ai pensé que le terme « animer » permettait à l’autre de mettre de l’essence dans une relation afin d’avancer. Regarder le monde dans les mots des autres a été une très bonne école et m’a construit humainement et artistiquement. Même si les origines sont différentes, la proximité sensorielle existe et mes voyages au Sénégal ou au Kenya m’ont nourri. Depuis 25 ans je n’ai jamais arrêté de m’occuper des jeunes, on a récemment monté un clip avec le Camina dans le cadre des projets culturels des Maisons à Caractère Social. L’écriture de « Une Histoire à Raconter » a été faite par les jeunes et le clip a été réalisé par un Syrien, Haddad Al Baraa.
Diego : Tu as beaucoup de contacts avec les jeunes mais lorsqu’on écoute « Elle Tangue » cela s’adresse plutôt à un EPHAD ? (rires)
Makja : Bien vu ! Il reste quelques anciens dans ma famille et j’ai écrit ce titre en me balançant dans un rocking chair. Mon collègue et moi-même nous demandions ce qui « tanguait » alors que nous nous trouvions dans une pièce qui sentait le passé. « Elle tangue ta mémoire papy… » les droits dont jouissent la société actuelle ont été gagnés par les anciens. Je parle de la mémoire qui tangue, celle des gens qui ont vécu les 30 glorieuses, comme un clin d’oeil à ceux qui ont apporté une lumière à leur descendance. Il faut en être conscient.
Diego : Dans un autre registre, « A Nos Absents » est également un titre prenant !
Makja : Je joue ce titre qui résonne parfois dans des endroits particuliers. J’ai souvenir d’une grand-mère assise au premier rang dans une maison Landaise qui représentait toute sa vie, elle y a vu naitre et mourir une partie de sa famille. Nous avons fini notre set par « A Nos Absents », elle a levé les yeux au ciel, s’est mise debout et nous a dit « Ils vous remercient » puis se rassoit. Ce concert était inclus dans une tournée acoustique que nous faisions chez l’habitant et les chansons rebondissent différemment que dans une salle.
Diego : D’ailleurs cela est une force de jouer en trio-acoustique près du public ?
Makja : Après le confinement, nous avons signé chez un diffuseur Parisien pour une création plus produite. Le souci étant que le spectacle ne se vendait pas car il était trop cher. On a adapté le répertoire en version trio-acoustique pour le jouer dans une version épurée chez l’habitant, dans les jardins, en maison d’arrêt, en hôpital et dans l’espace public. Je suis accompagné de Maïe-Tiaré Coignard au violoncelle et de Raphaël Raymond à la guitare.
Diego : J’ai entendu dire que tu étais un chanteur-fédérateur ?
Makja : C’est un compliment mais je ne maitrise pas les avis des gens. Je gère le spectacle vivant et les albums mais toutes les bouches ne disent pas toujours des gentillesses. Un public est diversifié, certains spectateurs viennent pour le texte, d’autres pour la musique ou pour le « game » parce qu’il va se passer quelque chose. J’ai envie d’un public métissé, diversifié et ouvert.
Diego : Tu avais des mots magiques dans ta jeunesse comme « bonjour, merci et au revoir ». Quels sont tes mots magiques pour les années actuelles ?
Makja : Envie, désir, action, humilité. Tu sèmes et la nature fait grandir certaines graines, même si tu as le dos tourné. Faisons et nous verrons bien !
Diego : As-tu un rituel avant de monter sur scène ?
Makja : Une bise avec mes comparses, « bon concert ». Mes deux compagnons sont de très bons musiciens mais surtout des humains adaptables. Lorsque nous jouons chez l’habitant, ce sont des sollicitations différentes à chaque fois et pas mal de rigolades. Nous nous chambrons, restons concentrés et profitons d’être vivants !
Diego : Pour finir, quels sont tes meilleurs concerts vécus en tant que spectateur ?
Makja : Je vois peu de concerts mais Carmen Maria Vega est une chanteuse française qui serait un mix de Tina Turner et Freddie Mercury ! Je l’ai vue au Mans en 2017 au pop festival avec Kim Giani et Maria représente la puissance, la classe, la folie d’une artiste talentueuse. Dans le même style, Melissmell pour son oeuvre ou Quintana Dead Blues Expérience pour sa passion. Piero joue seul et va au bout des choses. Il a une humilité saine et je suis impatient de le voir en duo avec un batteur.
Diego : Il se remet en question après chaque concert !
Makja : Totalement et son incertitude fait sa qualité. Il donne tout à son art.
Diego : Merci à toi et à bientôt en concert !
Makja : Merci Diego.
- Remerciements : Makja
- Photos : Jessica Calvo / Philippe Prevost
- Relecture : Jacky G.