
INTERVIEW HUGH COLTMAN @ DIEGO ON THE ROCKS
INTERVIEW #245 : HUGH COLTMAN
Hugh Coltman est l’un de ces musiciens attachants que l’on rencontre et dont la discussion pourrait s’éterniser. Depuis ses débuts avec The Hoax, l’artiste né en 1972 a publié une douzaine d’albums et il revient sur le devant de la scène avec « Good Grief », disque sombre publié en aout 2024 par le crooner qui assume sa sensibilité et le passage de la cinquantaine. Avant un très beau concert au Rocher de Palmer de Cenon, l’Anglais a accepté de rencontrer Musiques En Live. L’interview est de notre chroniqueur Diego et les photos sont de Laurent Robert, fidèle ami de l’association.
Diego : Tout d’abord j’aimerais te féliciter pour ta performance récente durant l’hommage à Neil Young et son album « Harvest » avec La Maison Tellier auquel tu as participé !
Hugh : Merci, c’était super ! La Maison Tellier sont des artistes que j’adore et nous avons pris un kiffe énorme ! Le style était super, nous étions une dizaine sur scène et j’ai fait 7 des 9 rares représentations données en 2 ans. J’ai souvenir d’avoir remplacé Emily Loizeau au dernier moment pour un concert à Coutances, j’ai chanté « A Man Needs a Maid », « Words » avec Yannick et joué sur quelques titres. « Harvest » de Neil Young est grandiose, une époque où il avait racheté une ferme et était comme un loser. Un disque de 1972 comme moi !
Diego : Comme nous tu veux dire ! Sinon comment vas-tu entre deux séries de concerts, la période Covid et des passages récents difficiles dans ta vie ?
Hugh : Ça va ! Nous rentrons d’Allemagne, le disque a bien fonctionné et j’adore travailler durant les tournées. De nouvelles chansons vont prochainement sortir en digital, elles étaient initialement prévues pour « Good Grief » et nous sommes en pleine bourre côté concerts !

Diego : As-tu bien passé ta « Midlife Crisis » ? Crise de la quarantaine ou de la cinquantaine… qui sait à quel moment nous sommes au milieu de notre vie ?
Hugh : J’avais fait une interview croisée avec Arthur H et il n’arrivait pas à définir à quelle période de la vie était la crise… (rires) Personnellement, mes 50 ans que je considère comme un bilan n’est pas forcément un passage joyeux. J’ai perdu mon père, un copain très proche est décédé et nous sortions du Covid. Néanmoins, le titre « Midlife Crisis » auquel tu fais référence n’est pas intime comme un passage important de ma vie, c’est plutôt le fait d’assumer d’être un gentil râleur un peu « relou » en vieillissant.
Diego : On a parlé de Neil Young en introduction d’interview mais tu as également participé à l’hommage rendu à Calvin Russell l’été dernier au Cognac Blues Passions ! Comment Manu Lanvin, organisateur des festivités t’a t’il contacté ?
Hugh : Mon batteur Raphael bosse parfois avec Manu Lanvin et il lui a parlé de cet hommage et des travaux effectués ensemble sur la fin de carrière de Calvin Russell. En 1H30 et trois prises, la version de « Shadow of Doubt » était dans la boite et musicalement cela m’a beaucoup plu car sa musique ressemble à mon premier groupe The Hoax. Une ambiance similaire proche de Stevie Ray Vaughan que j’affectionne.
Diego : Ta dernière production « Good Grief » est un album multi-facettes ?
Hugh : Je l’espère car c’est un album de mise au point, comme un bilan. Que suis-je devenu ? Nous sommes remplis de fluides et changeons physiquement et mentalement avec l’âge !
Diego : Comment as-tu su que j’avais grossi depuis Cognac l’an dernier ? (rires)
Hugh : (mort de rire…) Tu vois ce que je veux dire. Un titre comme « Keyboard Warriors » est le constat d’une période vécue écrit avec Matthis Pascaud. Composer des chansons est un engrenage. J’ai bossé avec Freddie Koella (Nda : guitariste de Francis Cabrel) et Raphael Chassin sur un album précédent puis j’ai voulu changer de style et ai enregistré « Night Trippin' » en duo avec Matthis. Un hommage à Dr John. Après cela, nous étions dans l’inconnu sur mon prochain projet… la page blanche ! Quelque part c’est vertigineux de ne pas savoir et cela ne m’était jamais arrivé.
Cet album est né avec les bribes de riffs de Matthis. Dans un délire à deux guitares, nous avons fait une chanson puis une deuxième et ainsi de suite. Il a été persistant suite à l’idée de « Nighttripper » qui venait déjà de lui. Nous aimons tous les deux cette période psychédélique et nos échanges ont fonctionné. Un projet commun suite à 15 ans de travail ensemble.
Diego : L’idée du titre « Red Tee Shirt » est-elle venue immédiatement en voyant cet enfant migrant mort en bord de plage, une image qui a fait le tour du monde ?
Hugh : Cette image récurrente est choquante mais c’est en voyant le film « Les Nageuses » de 2022 qui parle des soeurs sportives fuyants la Syrie. L’une des nageuses a obtenu une médaille d ‘or par la suite. J’étais obsédé par cette photo d’enfant mort et j’ai voulu l’exprimer à travers une chanson. Un titre écrit en 30 minutes et influencé par ce pauvre gosse et ces nageuses migrantes.
Diego : D’ailleurs c’est un sujet qui n’est pas facile à mettre en images pour un clip !
Hugh : C’est vrai et les réalisateurs sont un couple qui habitent à côté de chez moi. Anne et Sylvain avaient carte blanche et ils ont présenté cela sous forme de dessin animé. J’adore le résultat car l’idée de la chanson transpire des images, l’impuissance du monde face à de tels problèmes. Après il faut constater qu’en France, la plupart des boulots ingrats sont occupés par des étrangers ce qui explique l’afflux de migrants. C’est la même chose en Angleterre.
Diego : Avec – peut-être – une protection sociale en plus dans l’hexagone. Pour les chansons, est-ce plus difficile de raconter sa vie ou d’inventer une histoire ?
Hugh : Je pense que toutes mes chansons parlent un peu de moi. Dès lors que tu te mets « à la place » de quelqu’un, ton ressentiment est présent. Sans paraitre individualiste, je décris ce que je vois et parfois mon imagination réunit plusieurs personnages rencontrés ou inventés.
Diego : Et pour le titre « The Jumper », quel est le sujet ?
Hugh : C’est une chanson qui parle de mon père à travers un pull, d’où le titre « Jumper » (type de pull). A son décès, j’ai vidé sa maison avec mon frère et j’ai vu ce vêtement que j’ai conservé. A mon domicile, ce pull est devenu un objet qui m’a fait une sensation bizarre que je relate dans les paroles : « Après tout ce qu’il a travaillé pour donner à ses fils, je reste marqué par ce pull au demeurant insignifiant ». Je précise que ma mère est décédée lorsque nous étions jeunes. Cette chanson est très personnelle.
Diego : Tu as obtenu deux victoires de la musique Jazz en 2017 et 2023. Que cela apporte t’il ?
Hugh : Même si je ne collectionne pas les médailles, c’est important d’être reconnu par le public. Cela peut rapporter du travail et c’est une bonne chose. Ça fait plaisir. Si on compare avec les Grammys et les Brit Awards, il s’agit d’une « maison fermée ». En fait, il est impossible d’être reconnu par ces gens-là qui se remercient « entre-eux » sans travailler « avec eux ». Ce n’est pas le cas des victoires jazz décernées par le public. Après, je ne refuse pas un Grammy si l’idée leur prend ! (rires)
Diego : Tu m’étonnes ! Nous avons le même âge et ma femme me dit souvent que je suis un « quinquado » (plus de 50 ans physiquement mais 20 dans la tête). Es-tu concerné ?
Hugh : Je l’étais jusqu’à mes 50 ans ! (rires) Je ne vais plus faire la bringue mais je pense en partie être comme toi. Après on vieillit avec ses enfants et à travers leurs regards. On restera moins vieux que les autres à leurs yeux ! Il y a un côté vivant, certaines personnes ont la chance d’être mieux loties que d’autres par la nature.

Diego : Après 50 ans, nous aimons déconner en liant un sérieux et une expérience dans le travail que les jeunes n’ont pas ! Une double facette…
Hugh : Quinquado ! Merci , j’ai appris un mot !
Diego : Etant fan, as-tu prévu un jour de rendre hommage à John Lee Hooker ?
Hugh : Je suis très fan. Mais je ne ferai pas tout un album. Un passage, une chanson de John Lee ou Screamin’ Jay Hawkins pour délirer, oui ! Nous improvisons souvent car mes comparses musiciens sont également amateurs. Même si la musique de John Lee Hooker m’inspire beaucoup, ce n’est pas « ma » musique… je ne suis pas du sud des États-Unis ! Pour Dr John, nous avons réalisé « nos » versions de sa musique, c’est différent.
Diego : Pourtant ta chanson « Hear No Evil » est très proche de cette ambiance ?
Hugh : Effectivement, on est dans l’esprit Bayou ! Dans un projet collectif, pourquoi pas…
Diego : As-tu un rituel avec tes musiciens avant d’entrer en scène ?
Hugh : On se dit « merde » ! (rires) Non, rien de particulier.
Diego : La pochette de ton dernier album est très originale !
Hugh : J’aime lorsque cela interpelle ! Cela laisse entendre qu’elle est réussie… je ne suis pas très jeune, plus trop beau et ma gueule n’est pas necessairement vendeuse ! La photo est de Bonze et le design de Virgile Raffaelli, l’esprit brumeux de la pochette vient d’eux. Avant je maquettais tout, j’ai appris à déléguer certaines parties de mes productions. C’est le cas avec la pochette comme avec la musique qui est un travail d’équipe avec Raphael Chassin et Matthis Pascaud.
Diego : Pour finir, quels sont tes plus beaux concerts vécus en tant que spectateur ?
Hugh : Tom Waits en mai 2000 au Grand Rex de Paris pour défendre l’album « Mule Variations ». Musicalement et visuellement, j’aime bien aussi Camille qui a récemment fait la B.O. du film « Emilia Perez ».
Il y a peu, j’ai revu le guitariste de Tom Jones qui était à Paris et m’a téléphoné pour m’inviter à une démonstration de matériel avec Jean Jacques Milteau, c’était un moment très sympa « en famille musicale ». Parfois l’intensité de l’instant est imprévue. A une époque, je faisais les premières parties de Renan Luce, Mathieu Chedid et Vanessa Paradis puis j’ai abandonné l’idée de tenter d’être une vedette comme eux ! Mes copains m’inspirent dans le bon sens.
Diego : Merci Hugh ! Cela fait trois fois que je te vois en 8 mois et j’espère à très vite !
Hugh : Merci à vous deux.
- Remerciements : Laure Altar de CARAMBA PRODUCTION
- Photos : Laurent Robert
- Relecture : Jacky G.