INTERVIEW #222 – HILDEBRANDT @ DIEGO ON THE ROCKS
INTERVIEW 222 : HILDEBRANDT
Wilfried alias HILDEBRANDT est un original dans le paysage musical Français. Troubadour préoccupé par le temps qui passe, le Rochelais a publié son troisième album le 24 janvier dernier et Musiques En Live a profité d’une semaine de répétitions à la MECA de Bordeaux pour le rencontrer.
Votre chroniqueur Diego et son fidèle acolyte photographe Laurent Robert ont assisté au filage du « Risotto de Stuttgart », nouveau spectacle qui reprend des extraits de « Will » et rend hommage (entre autres) à Bowie.
Diego : Musicalement, ton dernier album semble plus pop que ses deux prédécesseurs. Ne sommes-nous pas loin des titres comme « Les Ondes » et « Vos gueules » publiés en 2016 ?
Wilfried : Oui, nous sommes carrément sur autre chose car en 2016 j’exploitais le revival New Wave en France comme l’a fait Lescop et d’autres, j’avais envie de retrouver le chaud-froid de mon enfance et la musique Anglaise des années 80 y ressemble. Dans ce nouveau projet, retour à mon intimité et à un son plus « mat » tant dans les instruments que dans la voix avec peu d’effets. J’adopte une façon de chanter plus légère.
Diego : Puisque tu en parles, comment as-tu rencontré Mathieu Lescop ?
Wilfried : Nous sommes amis depuis une vingtaine d’années car nous avons commencé la musique à la même période sur La Rochelle au début des années 2000. Il jouait avec Asyl et moi avec Coup de Marron, nous nous sommes côtoyés et sommes devenus très proches au fil du temps. Lors du confinement nous avons conservé un lien et il avait apprécié mes vidéos publiées dans le plus simple appareil musical. Il a aimé cette simplicité guitare-voix et un soir de retrouvailles nous avons franchi le pas, lui habitant Paris et moi toujours en Charentes-Maritimes. Nous sommes restés dans mon cercle familial et j’ai trouvé cette expérience superbe.
Diego : D’ailleurs lorsque je lui ai parlé de toi il m’a dit que tu étais aussi torturé que lui…
Wilfried : Ah ! Nous sommes torturés tous les deux mais pas de la même manière. On s’aime beaucoup et cette différence fait l’osmose, qui plus est en construisant cet album qui a resserré les liens d’amitié. Mathieu a accepté nos différences humaines car nous sommes opposés sur beaucoup de choses et cela m’a été très utile.
Diego : Es-tu « libre » comme lui, une notion qui lui est chère ?
Wilfried : Moi qui aime la relativité hors le contexte scientifique, je suis la voie du milieu. Je ne pense pas que la « vraie » liberté existe. Tout se construit par rapport à son opposé et en fonction de ses contraintes personnelles. Celles-ci te permettent d’être inventif. Pour le dire autrement, « la liberté c’est choisir ses chaines » et dans ces cas-là, je suis assez libre parce que je suis heureux dans ma famille, en amour et dans mon travail. Disons que je me sens équilibré.
Diego : Le titre « A Part Çà » est un hymne à la procrastination ?
Wilfried : Oui. Même si dans les couplets je relate être stressé et avoir la boule au ventre, le refrain est explicite avec « on s’en fout, on verra demain ». C’est aussi une façon de hiérarchiser toutes les tâches à accomplir.
Diego : J’aime beaucoup « La Soif » dans ton album. Peux-tu m’en parler ? Une chanson d’amour et contrairement au titre, pas sur l’alcoolisme !
Wilfried : Oui la soif d’amour physique. C’est le premier morceau travaillé avec Mathieu, un titre nu « voix-guitare » qui laisse entendre qu’on a besoin de boire de l’eau pour survivre et je fais une passerelle avec l’amour. Le long terme est un thème récurrent dans mes travaux, cette chanson s’adresse à ma femme que je connais depuis longtemps à qui je déclare entretenir l’envie et continuer ce que nous avons construit à deux.
Diego : Totalement opposé, le texte de « Pour l’Apparat » décrit un être très pessimiste ?
Wilfried : C’est rare dans mes compositions mais « Pour l’Apparat » est le tournant de cet album. La question est : sommes-nous utiles en tant qu’artistes pour notre société ? Sommes-nous là uniquement pour l’apparat ?
Diego : C’est marrant j’avais transposé ce texte sur les politiciens…
Wilfried : Le manque de clarté est voulu mais l’inspiration est artistique dans l’interrogation. Une chanson post-confinement à la recherche de l’essentiel même si les artistes ont plutôt été bien traités dans les dédommagements. Les artistes Français ont été bien mieux considérés que dans les autres pays Européens. Néanmoins, cela questionne sur la place de l’art dans notre société qui est souvent dévaluée, fantaisiste et secondaire. Seuls les historiens peuvent dire que la culture et l’art font avancer nos sociétés.
Diego : Tes parents pensent que tu es un troubadour !
Wilfried : C’est ça ! Et ils pensent que le pays n’ira pas mieux grâce à l’art !
Diego : Et nous sommes tous remplaçables ! Lorsqu’on t’écoute, on a l’impression que tu nous ressembles mais dès qu’on gratte un peu, cela n’est pas le cas. Je pense à la chanson « Je Te Connais » !
Wilfried : Je suis comme tout le monde mais j’ai cultivé ma singularité. J’ai besoin d’être comme les autres et en même temps différent. C’est mon petit trouble à moi…
Diego : Tu peux très bien être discret dans la vie tout en étant exubérant sur scène ! C’est le principe d’un artiste !
Wilfried : C’est exactement ça ! Tu viens de comprendre l’essence de notre démarche ! C’est le sujet de notre spectacle actuel… être ordinaire et être extraordinaire, c’est l’épilogue du passage lorsque je cuisine mon risotto de Stuttgart.
Diego : Justement parle-moi de ton risotto de Stuttgart ? 2 mots qui sont contradictoires alors que ton spectacle inclut des chansons de Bowie, Brassens et The Cure !
Wilfried : Depuis longtemps j’avais mon image chantant en éminçant des oignons… mes deux plaisirs dans la vie sont la musique et inviter les copains à manger. Je souhaitais créer un spectacle croisant le conte, le concert et la cuisine en direct. Je précise que le plat que je prépare est servi aux spectateurs attablés à la fin du show ! Evidemment la jauge est de 50 personnes maxi pour des questions de logistique.
Ce spectacle révèle les contradictions d’un homme qui souhaite être à la fois ordinaire et extraordinaire. Être moi-même puis devenir David Bowie ! Les chansons alternent mon répertoire et des reprises, des textes introductifs et une recette qui n’existe pas, à savoir un risotto Allemand ! Les opposés sont conjugués tout en y mêlant mes origines. La première partie relate ma relation avec Pierre qui m’accompagne sur scène, un fidèle depuis 25 ans. L’autre partie est plus intime et concerne mes parents.
Diego : Quel est le point commun entre tes 3 pochettes d’albums ?
Wilfried : Ah ! Mon regard direct peut-être…
Diego : Exact ! Un portrait avec des impressions différentes. Tantôt rouge, puis encadré et enfin dessiné !
Wilfried : C’est évidemment voulu ! Je souhaitais un regard direct afin que l’auditeur se plonge dans mes yeux dès la pochette. Je trouve que cela donne l’impression de s’adresser directement aux gens. Pour l’album « Will » sorti en début d’année, le dessin résume en quelques traits ma personne sans avoir de détails inutiles. En deux-trois coups de crayon, on devine qui je suis, réalisé par une artiste qui s’appelle Elo.
Diego : Comment est né le concept de l’interprétation de reprises en étant perché dans un arbre ?
Wilfried : Il s’agit de sessions live dont l’objectif est de « transporter ma bulle ». Ma solitude perchée dans un arbre qui représente l’abri, la cabane au dessus du sol qui permet de voir loin. Une symbolique terre-ciel-racines-branches très insolite et il m’arrive de faire des concerts dans les arbres. Tous ceux qui ont un arbre dans leur jardin peuvent me contacter !
Diego : Dommage je n’ai qu’un olivier à la maison ! Autre sujet relatif à une chanson, es-tu ou as-tu un bon coach pour rater sa vie ?
Wilfried : J’essaie d’être un bon coach pour rater ma vie mais j’ai un bon coach… rater sa vie questionne sur réussir sa vie et qu’est ce qu’un échec ? Privilégier la réussite personnelle, la satisfaction, l’épanouissement à la réussite matérielle est une doctrine que j’essaie d’inculquer à mes enfants. Cela me vient de mon beau-père George qui est cité dans mon spectacle et est probablement ma plus grande influence dans la vie après mes parents. Ce serait lui mon coach de vie.
Diego : As-tu un rituel avant d’entrer sur scène ?
Wilfried : Non. Depuis le temps que je monte sur scène avec les mêmes personnes, la satisfaction des retrouvailles me suffit. Comme un rituel… à une époque on se disait : « Allez, que du bon football ! »
Diego : Pour finir, quels sont tes meilleurs concerts vécus en tant que spectateur ?
Wilfried : Récemment avec Mathieu Lescop, nous avons vu Kings Of Convenience à La Sirène de La Rochelle. Un groupe folk Norvégien que je suis depuis leur premier album de 2001. Ensuite H-Burns qui reprend Léonard Cohen dont je suis très fan. A la sortie du confinement, j’ai été très touché par ce concert et la setlist était idéale avec en final « Hey, That’s No Way To Say Goodbye » titre de 1967. Enfin, Têtes Raides qui mélange poésie, folie, punk, alternatif, morbide et enfantin. Cette musique n’est plus à la mode mais quel talent ! Accordéon, trompette… je trouve que Christian Olivier est un artiste complet.
Si je devais regretter un concert, l’Américain Elliott Smith décédé en 2003 et que je n’ai jamais vu.
Diego : Merci Wilfried, en tournée dans toute la France avec ton nouveau spectacle ! Bon appétit !
Wilfried : Merci et à bientôt.
- Remerciements : Bérénice de Papier Musique / MECA
- Photos : Laurent Robert
- Relecture : Jacky G.