DEPORTIVO MeL

INTERVIEW DEPORTIVO @ DIEGO ON THE ROCKS

INTERVIEW #246 : DEPORTIVO

Nous avions quitté le groupe DEPORTIVO à l’aube de leur dernière tournée au Krakatoa en 2023 et c’est un privilège de les retrouver afin de défendre ce nouvel album baptisé « Reptile » tant attendu. Jérôme et Julien ont accepté de répondre aux questions de Diego en présence du photographe Laurent Robert. Signalons que le groupe met en vente tous les concerts de la tournée 2025 en s’inscrivant sur une liste dédiée au merchandising.
 

 
Diego : Deux ans plus tard, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Jérôme : En deux ans, nous avons continué à nous produire en concerts de manière sporadique et avons composé ce nouvel album. Grâce à une campagne participative, nous avons pu l’enregistrer dans de bonnes conditions. Nous n’avons plus de maison de disques et nous gérons seuls… de l’administration au graphisme en passant par le ménage ! Autant dire que nous sommes bien occupés mais très fatigués et cela pourrait être une forme de torture lorsque tu n’arrives pas à te reposer. C’est un choix. Le crowdfunding permet de briser les frontières entre les amateurs de Deportivo et nous-mêmes mais cela englobe une masse de travail incroyable que nous ne connaissions pas.
 
Diego : Le « Do It Yourself » a t-il relancé Deportivo ?
Jérôme : Les amateurs du groupe font que nous sommes encore là ! Sans public, nous ne serions plus opérationnels.
Julien : Le crowdfunding ne nous a pas sauvé mais a redéfini notre projet et le rapport avec le public. Cette prise directe est très intéressante. Fin février – début mars, nous nous sommes retrouvés avec un planning incroyable ! Préparer la tournée, la résidence, la route, le disque qui sort, les concerts, la logistique, les fournisseurs, les imprévus…
Jérôme : Ce qui confirme que même en souhaitant être indépendant, tu restes dépendant d’un gars ! Le livreur, le fabricant du disque… et les gens deviennent impatients. Beaucoup de mails qui prennent ton énergie afin d’expliquer aux contributeurs les retards. Une expérience intense. Au début des années 2000, le passage était balisé et aujourd’hui malgré une indépendance choisie, tu es obligé de confier la programmation à quelqu’un, que ce soit en salles ou en radio. Nous sommes au maximum de l’indépendance possible. A contrario et il faut leur rendre hommage, nous avons toujours été libres avec notre maison de disques même si nous avions le sentiment d’être aussi compétents que certains de nos collaborateurs.
 
Diego : Vous avez joué la semaine dernière à l’Olympia de Paris. C’était comment ?
Jérôme : Magnifique, rouge.
Julien : Rouge et rempli de sourires. Durant deux ou trois jours, j’ai eu des blancs avec des flashs dans ma vie quotidienne… une sensation incroyable mais tu reviens rapidement à la réalité en faisant tes courses ! Nous avons eu de la chance en remplissant de très belles salles et c’est un vrai plaisir.
 
f08ea2ca 6fdc 46a6 84e6 5cd5ac835ade
Diego : L’album « Reptile » comporte 10 titres et dure 23 minutes. Record personnel battu ?
Jérôme : Effectivement c’est le plus court. « Parmi Eux » fait 27 minutes mais comporte 12 titres, c’est du même style ! Chez nous, pas de remplissage. Il y a toujours une forme d’urgence et de fulgurance dans ma manière de composer. J’ai toujours été animé par cette rapidité. Lorsque nous avons commencé la musique, on nous disait que nos titres étaient trop courts mais nous sommes restés intransigeants afin de refléter nos personnalités.
 
Diego : D’autant plus que sur scène , les versions sont équivalentes !
Jérôme : Pas de raison de les rallonger lorsque nous trouvons les titres équilibrés !
Julien : « Paratonnerre » et un autre titre du dernier album ont des « ponts » supplémentaires mais c’est circonstanciel de développer pour le live un passage en 4 mesures plutôt qu’en 2 ! C’est marrant et spécifique à notre musique ces titres aussi courts car je n’ai découvert la durée finale de « Reptile » qu’à la fin du mastering. Il n’y a aucune intention.
 
Diego : C’est pas du The Cure avec des introductions qui durent 5 minutes !
Jérôme : Un de mes potes adore The Cure mais me concernant je préfère les albums et les concerts expéditifs. Je priorise la fulgurance.
Julien : Nous préférons la frustration au gavage.
Jérôme : Plus jeune, je m’ennuyais lorsqu’un concert était trop long.
Julien : Surtout qu’en 5  albums, nous avons la matière pour jouer 2 heures mais ce n’est pas dans notre adn.
 
Diego : Je pense que les spectateurs viennent chercher cette urgence ! D’ailleurs sans vouloir vous faire avaler une couleuvre, quel genre de reptile seriez-vous tous les deux ? (rires)
Jérôme : Ahhh ! Une araignée, un écureuil ! (rires) Aucune idée…
Julien : J’en ai vu plein ! Les reptiles ont cette spécificité d’être présents à l’origine et d’avoir eu une sacrée évolution. C’est catalogué agressif mais je me vois bien en lézard !
Diego : Un margouillat ! C’est un petit lézard translucide qu’on trouve en outre-mer !
Julien : Je connais ! L’entraîneur de foot de mon fils leur fait adopter cette position pour l’échauffement.
Jérôme : S’il est transparent, je suis aussi un margouillat ! Un margoulin-margouillat ! (rires)
 
c469274e 6012 405c aa47 33aa59b2c4a2
 
Diego : Dans le morceau « Avide », la guitare rappelle Django Reinhardt. Est-ce voulu ?
Jérôme : Non cela n’est pas volontaire, cela aurait également pu rappeler Brassens. C’est parti comme ça avec une rythmique classique, merci pour le compliment !
 
Diego : Dans un autre registre, « Rubiskube » est un condensé de Deportivo en 2 minutes. Comme vous le dites : « Votre jeunesse fut remarquable… » Comment vous imaginez-vous vieillir ?
Jérôme : En répondant à des mails pour expliquer les retards ! C’est une très bonne question mais j’évite de me projeter trop loin. Concernant Deportivo, nous ne prévoyons rien et les objectifs sont à courts et moyens termes. Depuis nos débuts, je n’ai pas le sentiment que cela puisse durer et nous restons dans la forme d’urgence évoquée précédemment. Je n’espère rien si ce n’est une planification proche et programmée. J’ai le souvenir d’un gars avec qui je bossais dans un magasin de fringues à 20 ans, il était à peine plus vieux que moi. Ce mec pensait déjà à la retraite ! Je ne suis pas dans cette optique.
 
Diego : Bientôt des futurs Quinquados !
Jérôme : Je n’ai plus 20 ans dans ma tête et c’est préférable car c’était un sacré bordel là-dedans lorsque j’étais jeune adulte ! Par contre, j’essaie de m’émerveiller et d’être curieux autant que possible et on retrouve l’ambiance de nos 12/13 ans.  Même si on s’amuse bien sur scène, nous vieillissons normalement…
Julien : Il y a 20 ans, je me disais : « profites-en car tu ne feras plus ça lorsque tu seras vieux et ce sera moins approprié ». 20 ans plus tard, ce n’est pas le cas et nous sommes à notre place. Je m’amuse derrière ma batterie avec mes potes.
Jérôme : A 20 ans, tu hésites à sortir des clous. Passé la quarantaine, tu t’en fous ! Nous sommes plus libres et nous grandissons tous différemment.
Julien : Vieillir n’est pas synonyme de souffrance et l’âge mûr n’est pas dans la privation même quand ta vie est « carrée et balisée ». Péter un plomb et se faire plaisir ne sont pas des spontanéités réservées aux adolescents !
 
Diego : « Fiasco » est-il le titre le plus plaisant à jouer sur scène ?
Jérôme : C’est l’un des plus difficiles. Il s’agit du dernier morceau que nous avons composé à l’époque de la campagne Ulule qui a cartonné immédiatement (25 000 euros le premier jour). Initialement « Fiasco » était très pop et notre copain Brice Borel, une aide précieuse pour ce crowdfunding, l’aimait particulièrement. J’ai programmé une batterie plus tendue et nous avons fait la fin ensemble. L’autre titre créé sur le fil du tempo de la campagne Ulule est « Alloués ». En fait, c’est un titre mis au goût du jour que j’avais envoyé à un collègue deux ans auparavant.
 
67162b1c 2bc8 4cfb 9bd8 c0c9300c9cbb
 
Diego : Par contre « Trainards » est à part dans cet album ! Un piano-voix peu habituel ?
Jérôme : Cela donne une couleur différente à « Reptile ».
Julien : Nous jouons tous les titres du dernier album dans cette tournée sauf « Rubikscube » et « Avide ». Le concert contient plusieurs blocs et ces titres étaient difficiles à injecter dans nos setlists.
 
Diego : En off avant cette interview, j’ai aimé notre discussion sur le fait que vous pouviez, comme les spectateurs, être encore dans un concert plusieurs jours après l’avoir joué ! Comme un flashback, une absence !
Jérôme : L’intensité du travail oblige à passer rapidement à autre chose. Ces flashs sont très agréables.
Julien : Effectivement cet aspect « déprime » touche aussi les artistes. A l’Olympia il y avait des affiches à ce sujet et c’est extraordinaire de se dire que cela compte dans la vie des gens… quel plaisir ! Comme un souvenir de voyage ou un bon livre !
 
Diego : Ce « manque » est incroyable et signe d’un instant vécu indélébile… j’en ai des dizaines en mémoire !
Jérôme : J’ai un pote qui est fan de New Model Army et les suit sur toutes les tournées. De Stuttgart à Berlin en passant par Barcelone, il a besoin de sa dose…
Julien : C’est un bon prétexte pour voyager ! Par contre le « quinquado » que tu es devra rendre des comptes ! (rires)
Diego : Ah oui c’est clair ! Parlez-moi du clip de « Reptile » réalisé par Christophe Acker ?
Julien : C’est un clip fait à l’arrache avec plein de petits clins d’œil. On l’a tourné sur un fond vert avec un pote Rennais. Christophe est le réalisateur de tous nos clips.
Jérôme : On l’a tourné à la salle de l’Etage. Le régisseur est un amateur de notre groupe. Dans le clip, tu retrouves des flashs de Bois d’Arcy – notre ville d’origine, nos premières répétitions, notre quartier, l’espace de Star Wars pour créer une ambiance cosmique sur un morceau de guitare.
 

Diego : Et la pochette, c’est l’enfant de qui ?
Julien : Le mien ! C’est un collage de mon fils. Nous avions plein d’idées avec Jérôme et mon fils a créé ce roi un peu chelou en collage auquel nous avons ajouté la langue du reptile.
Jérôme : On avait tenté d’utiliser l’IA mais avec le mot « reptile », cela devenait de suite agressif. Le résultat correspond tout à fait à notre volonté, de l’enfance à l’adulte.
 
Diego : Quelles sont les 5 plus belles minutes du groupe ?
Julien : Les 5 à venir !
Jérôme : On peut faire 5 fois 1 minute ?
Julien : Ou 10 fois 30 secondes ?
Jérôme : Je me souviens d’une époque où nous cherchions une maison de disques. Nous répétions en banlieue dans une zone industrielle et notre (futur) manager est venu nous voir pour nous annoncer qu’un éditeur était intéressé par notre projet, les tourneurs et les maisons de disques voulaient nous signer. Cela m’a retiré une frustration et cette annonce a été intense. Nous étions libérés. J’ai eu la certitude qu’une éventuelle frustration de ne pas y arriver était derrière nous et qu’on pouvait avancer librement. Ces 5 minutes-là furent belles.
 
Diego : Si vous pouviez aller au restaurant avec une personne vivante ou décédée, connue où non, laquelle serait-elle et de quoi parleriez-vous ?
Jérôme : J’irai avec ma mère qui a disparu et nous parlerions de jolies choses.
Julien : Dans le même esprit, mon grand-père qui est parti il y a très longtemps. Sinon John Lennon, cela pourrait être sympa…
 
Diego : Vous pourriez repasser dans des festivals prochainement ?
Jérôme : On a mal joué aux Transmusicales de Rennes il y a très longtemps et nous avons été « sous-estimés » par la profession.
Julien : Notre set était ni maîtrisé ni mature mais c’était il y a 20 ans ! On aimerait bien revenir sur des festivals « première division » spécialisés en rock…
 
Diego : Merci à vous ! Longue vie à Deportivo !
Jérôme & Julien : Merci  à vous deux.
 
 
  • Remerciements : Clémence de la Rock School Barbey
  • Photos : Laurent Robert
  • Relecture : Jacky G.