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INTERVIEW #190 – LA GRANDE SOPHIE @ DIEGO ON THE ROCKS

INTERVIEW LA GRANDE SOPHIE PAR DIEGO*ON*THE*ROCKS

Sophie Huriaux est une artiste majeure du paysage musical Français depuis 25 ans. Auteure-compositrice et interprète, elle produit des albums à un rythme régulier sans négliger les collaborations et participations de qualité. En 2023, elle a publié son 9ème album “La Vie Moderne” et marque un retour au style pop-folk qu’elle affectionne particulièrement. Lors d’un récent passage au Rocher de Palmer de Cenon, La Grande Sophie a accepté de s’entretenir avec Diego sous le regard photographique d’Emma Derrier pour Musiques En Live. DIEGO : La période Covid a t’elle été difficile te concernant ? LA GRANDE SOPHIE : Oui. Nous avons été coupé en plein élan lors d’une tournée promotionnelle. Beaucoup d’artistes ont compensé cette absence grâce aux réseaux sociaux, personnellement j’ai eu peur que le public ne revienne pas voir des concerts. La chanson “Ensemble” relate un nouveau départ post-Covid et a donné la couleur de l’album. En effets secondaires de la pandémie, mon disque a été décalé pour deux raisons : l’embouteillage créé par l’abondance d’artistes désireux de publier leurs travaux et mon changement récent de label. La tournée a été légèrement décalée sur quelques dates. DIEGO : Te considères-tu comme une fille de l’Est (née dans la Meuse) ou une fille de la Canebière (élevée à Marseille) ? LA GRANDE SOPHIE : Je considère être du sud ! Je suis née dans l’Est où mon père était sidérurgiste puis il a été muté à Fos-Sur-Mer, endroit où j’ai vécu toute ma jeunesse. Mes parents souhaitaient vivre près de la mer. J’ai découvert ma région de naissance réputée pour être accueillante grâce aux concerts. DIEGO : 25 ans, 9 albums et quinquagénaire. Quelles sont les images importantes de ta carrière ? LA GRANDE SOPHIE : Un parcours qui vient de la scène. J’ai appris énormément et toutes ces années ont été formatrices. J’ai eu beaucoup de mal à apprivoiser les sessions studios. Avec l’informatique musicale, j’ai appris l’indépendance. Ces nouveaux outils technologiques sont précieux, tant pour m’adresser aux musiciens que pour effectuer mes arrangements personnels. Les années passent et je m’enrichie professionnellement en maitrisant mes émotions. J’étais une fusée lors de mes premières tournées mais aujourd’hui je pense jauger et maîtriser les silences. DIEGO : Meubler les silences donne l’impression de combler un vide ! LA GRANDE SOPHIE : Exactement. Lorsque j’ai travaillé avec la romancière Delphine De Vigan, nous étions deux sur scène entre lecture et musique. On ne se rend pas compte de la difficulté à écouter l’autre en se posant, un peu comme un question-réponse qui t’oblige à maitriser ton corps. D’ailleurs lors d’une interview récente, l’un de tes confrères m’a sorti que son moment préféré était lorsque l’artiste s’accorde… j’ai été surprise. Un show est une représentation. Lorsqu’on accorde sa guitare cela ressemble à un moment plus personnel devant un public et je suppose que ce journaliste a voulu me faire ressentir qu’il appréciait cet instant “non prévisible” qui entre dans l’intimité de l’artiste. sans titre 434 1 DIEGO : Raison pour laquelle j’adore assister aux balances lorsque j’effectue des interviews ! Comme un observateur qui intègre une équipe musicale sur un court instant. LA GRANDE SOPHIE : Parce que tu es privilégié d’assister à un moment que les autres personnes n’ont pas ! DIEGO : Effectivement. “Ensemble” est donc le point de départ de ce dernier album ? LA GRANDE SOPHIE : Oui, avec une tonalité folk. Imagine-toi autour d’un feu de camp pour écrire les autres chansons. Ce qui explique la présence physique de ce feu durant mon spectacle, il devient l’élément central. DIEGO : Le message de cette chanson est : Comment vivre après ? LA GRANDE SOPHIE : C’est un élan de réconfort pour dépasser cette situation. Nous étions en pleine science-fiction. DIEGO : Musicalement cet album est folk mais également funk (“Vendredi”) et rock (“Un Roman”) ! LA GRANDE SOPHIE : Cela correspond à mon état d’esprit lorsque j’ai commencé il y a 25 ans. Je disais faire de la “kitchen music” et je pense que c’est toujours le cas. J’aime que La Grande Sophie soit inclassifiable. J’écoute plein de styles musicaux différents et ne pense pas pouvoir être résumée à une balade, une chanson ou un titre folk. Un mélange de tout ça me plait ! DIEGO : Dans “La Vie Moderne” on retrouve la génération 3.0 ? Je zappe et je matte ! LA GRANDE SOPHIE : Je matte surtout ! Il s’agit d’un regard sur les transformations actuelles. Nous avons un peu de recul avec l’âge et un artiste de 20 ans pourrait difficilement appeler son album ainsi. J’ai connu le 4 pistes, le DAT et “La Vie Moderne” permet de me positionner en tant que femme de mon âge dans la musique actuelle. Toutes les paroles sont bonnes à entendre, du plus jeune au plus vieux. Notre société est en pleine révolution féminine mais oublie l’acceptation de la vieillesse. Il faudra mieux gérer l’expérience des “vieux” pour les entendre sans négliger les autres dans un avenir proche. DIEGO : En plus ce sont les “vieux” qui votent… bien plus que les jeunes ! LA GRANDE SOPHIE : A chacun sa révolution ! (rires) DIEGO : Peux-tu me parler de la chanson “Pouvoir De La Fiction” que j’aime particulièrement ? Une voix envoutante et une très belle rythmique. LA GRANDE SOPHIE : J’aime laisser une place à l’imaginaire synonyme de liberté. J’en ai besoin. La société allant très vite, nous prenons de moins en moins le temps de rêver. Dans le même style “Sauvage” est un titre parlant. Tu fixes un point au loin en espérant n’être jamais dérangé. La nouvelle technologie fait que tout va vite… on ne prend plus le temps. DIEGO : La poésie de la carte postale n’existe plus ! Autre chanson qui a retenu mon attention : “L’Escalier”. Cela m’a rappelé Tiken Jah Fakoly. Un titre sur l’exclusion. LA GRANDE SOPHIE : Lorsqu’on te pousse vers la sortie, il faut garder espoir et marquer son territoire. Le processus du vieillissement doit être accepté sans exclusion. Montrer que nous sommes là est important. DIEGO : Une chanson très particulière de ton album s’appelle “Les Au-Revoir” ? LA GRANDE SOPHIE : C’est la plus ancienne de mes chansons. Un thème que je voulais aborder de longue date mais il me manquait le refrain, d’album en album. J’ai repoussé depuis 10 ans et j’ai enfin réussi à la finaliser. DIEGO : Tu as participé à de nombreux hommages d’artistes (Le Forestier, Barbara, Thiefaine, Nino Ferrer…), cette filiation est importante ? LA GRANDE SOPHIE : Ce sont principalement des gens que j’ai écoutés. Lorsqu’on effectue une reprise, il faut trouver sa place. Une reprise copiée-collée est sans intérêt. Recontextualiser une vieille chanson est important même si ces auteurs et leurs titres n’ont pas besoin de nous pour perdurer. Un patrimoine souvent agréable à chanter. DIEGO : Quels souvenirs conserves-tu de ta tournée acoustique-solo il y a une dizaine d’années ? LA GRANDE SOPHIE : Bon, d’ailleurs je cherche un angle éventuel pour un spectacle qui serait un one-woman-show qui permettrait de me raconter. Il faut trouver une perspective qui serait évidemment chantée, j’espère le faire prochainement. sans titre 437 DIEGO : As-tu un rituel avant d’entrer sur scène ? LA GRANDE SOPHIE : J’aime me maquiller et surtout me parfumer. Une salle a une odeur et une réverbération sonore qui lui sont propres. Lorsque l’artiste entre en scène, j’aime sentir l’effluve des corps. Mon budget parfum est relativement conséquent ! Je rencontre régulièrement les spectateurs et une fois l’un d’eux qui était placé au deuxième rang m’a dit avoir senti mon parfum, le lendemain j’ai mis triple dose pour atteindre le dixième rang ! (rires) DIEGO : Tu devrais trouver un sponsor ! LA GRANDE SOPHIE : Serge Lutens si tu nous lis ! DIEGO : Pour finir, quels sont les meilleurs concerts que tu as vécus en tant que spectatrice ? LA GRANDE SOPHIE : Les Pretenders au Bataclan ! J’avais récupéré le médiator de Chrissie Hynde. Également Suzanne Vega, PJ Harvey, Prince dans les années 80 et Joan Baez. J’ai vu Anne Sylvestre avec ma mère et ai été très émue. C’était un cadeau pour elle. DIEGO : Merci beaucoup Sophie et belle tournée estivale ! LA GRANDE SOPHIE : Merci à vous deux.
  • Remerciements : Nicolas Humbertjean
  • Photos : Emma Derrier
  • Relecture : Jacky G.