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INTERVIEW LA MAISON TELLIER @ DIEGO ON THE ROCKS

INTERVIEW #241 : LA MAISON TELLIER

De mémoire de mélomane averti, nous vivons rarement des instants comme ceux-ci ! Avoir la chance de partager quasiment 1 heure d’interview avec La Maison Tellier avant d’assister au concert hommage à Neil Young avec une palanquée d’invités plus talentueux les uns que les autres est un privilège. En immersion au Rocher de Palmer de Cenon, le groupe Rouennais était assisté de Pascal Danaé, Hugh Coltman, H-Burns, Lonny, Pauline Denize, Ysé, Macha Gharibian et Antoine Pinet pour mettre à l’honneur l’un des musiciens Canadiens les plus doués de sa génération (avec Léonard Cohen).

 
Afin d’obtenir la durée normale d’un concert de folk, La Maison Tellier agrémente « Harvest » de quelques perles des années 70 du maître Young pour contenter un public demandeur. Ainsi, « Cinnamon Girl » et « Winterlong » côtoient les titres « Out On The Weekend », « Old Man » et « There’s a World » tirés de l’album mythique publié en 1972. Les invités s’enchaînent durant la quasi-totalité de la prestation avec plusieurs moments magiques dont les 650 spectateurs de Cenon se rappelleront : « Alabama » et « Cortez The Killer » avec le chanteur de Delgrès en grande forme tout comme une version de « Heart of Gold » magistrale. L’harmonica de Hugh Coltman et la voix de Lonny se marient à merveille pour ce tube qui est l’unique numéro 1 single de Neil Young aux Etats-Unis sur l’intégralité de sa carrière. Sur le final, Macha Gharibian interprète « Like a Hurricane » dans une version acoustique dont l’original très rock est tiré du 7ème album publié en 1977. Un bijou offert par la franco-arménienne au piano. La dizaine d’artistes repart sous de nombreux applaudissements mérités et le public est ravi d’avoir effectué un bond en arrière d’une cinquantaine d’années.
Ci-dessous retrouvez l’interview accordée par les 5 membres de La Maison Tellier incluant Blandine, la nouvelle bassiste :
 
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Diego : Au départ, le concert hommage à « Harvest » de Neil Young en mai 2022 était-il un « one shot » ?
Sebastien : Oui. Initialement c’était un concert unique avec Emily Loiseau, Albin de la Simone, Pauline, Denize, Ysé, Samy et Baptiste qui sont présents ce soir mais sans H-Burns indisponible. Après cette superbe soirée, nos tourneurs et programmateurs ont trouvé un intérêt au projet. Nous l’avons rejoué au printemps de Bourges et au festival d’Avignon 2023 et grâce à une corrélation de nos plannings respectifs et avec l’aide d’Azimuth Prod, nous avons pu ajouter quelques représentations. Ce soir il s’agit de la 9ème et ultime. En aucun cas nous sommes un « tribute », juste une bande de copains qui rend hommage à un artiste encore vivant.
Diego : Pourquoi le choix de l’album « Harvest » qui date de 1972 ?
Sébastien : Neil Young a fait d’autres albums incroyables mais « Harvest » est particulièrement légendaire et l’année où nous l’avons joué au 104 de Paris coïncidait avec les 50 ans du disque, à savoir en 2022. J’ai souvenir d’un hommage au « Sergent Pepper » des Beatles en 2017 et je souhaitais me positionner pour « Harvest » avant qu’un autre artiste y songe car Neil Young est une de nos figures tutélaires. La période Covid a permis d’élaborer le projet et la salle 104 a participé à sa concrétisation.
 
Diego : Les fans auront-ils un enregistrement audio ou vidéo de cet hommage ?
Sébastien : Ce serait sympa mais pas rentable. C’est un plaisir d’avoir joué en public les chansons de Neil Young, les 9 concerts sont enregistrés de manière basique sans but d’un mixage produit à l’avenir. Malheureusement cela coûterait trop cher de publier un témoignage de cette belle aventure.
 
 
Diego : « Harvest » est un superbe album qui ne fait que 10 titres et dure 38 minutes. Comment choisis-tu les autres chansons pour proposer un concert de 1H30 en piochant dans les 50 albums publiés par Neil Young ?
Sébastien : Nous nous sommes limités à une période temporelle allant de la fin des années 60 jusqu’à 1977.
Diego : Donc pas de « Rockin in a Free World » qui est un hymne du rock n’roll !
Sébastien : Non mais ce sera pour la prochaine tournée hommage !
Diego : 1989 + 50 ans = 2039 ! J’espère que nous serons encore là pour y assister ! (rires)
Sébastien : Oui et qu’on pourra jouer ! (rires) Sinon je suis très fan de cette période 70’s et suis moins pointu sur les albums suivants. Néanmoins il a été facile de proposer à mes camarades des morceaux hors « Harvest » jouables et dans le même esprit.
Diego : D’ailleurs la pochette de votre premier album éponyme publié en 2006 est très influencée par Crosby, Stills, Nash & Young ! Une maison entourée de bois au bord d’un étang…
Sébastien : C’est vrai mais c’était involontaire contrairement à la deuxième pochette ! La photo du premier est un accident qui collait bien, pour la grange de « Second Souffle » c’est voulu.
 

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Diego : Blandine, nouvelle bassiste de La Maison Tellier, que penses-tu de Neil Young ?
Blandine : Plus jeune j’avais peu d’albums. Néanmoins à 15 ans, j’avais deux disques fétiches, « Britney Spears » et « Harvest » ! Depuis je me suis rattrapée et ce qui est drôle dans cette aventure est que « Harvest » est l’un de mes premiers disques et que La Maison Tellier est l’un des premiers groupes que j’ai vus en concert lorsque j’étais collégienne. J’habitais dans le nord de la Seine Maritime à Doudeville dans le pays de Caux.
Diego : Une vraie fan d’origine !
Blandine : Oui et en rejoignant le groupe pour la fin de la tournée, j’ai le sentiment que la boucle est bouclée entre mon adolescence et aujourd’hui !
 
 
Diego : D’ailleurs une question qui s’adresse aux mélophiles que nous sommes. Comment doit-on digérer un album que l’on a pas connu lors de sa sortie ? Par exemple, je me souviendrai toute ma vie du sentiment que j’ai eu en entendant « Thriller » de Michael Jackson lors de sa sortie en 1983 contrairement à d’autres disques que j’adore mais que j’ai connus « après coup ». Sociétalement parlant, les choses sont différentes ?
Sébastien : Effectivement. A l’époque où j’ai découvert la musique sans être influencé par la discothèque de mon père, je n’écoutais pas du tout la musique de mon temps. Je suis rentré au collège en 1988 et la musique te définissait, du gothique au métal en passant par les sacs US. J’écoutais que des vieux trucs, des Beatles à Neil Young en passant par Simon & Garfunkel et Creedance Clearwater Revival. Je me souviens de la sortie de « Nevermind » de Nirvana en 1991 mais je n’avais pas accroché plus que ça. Loin des téléphones portables et des téléchargements actuels, je regardais les clips sur M6 mais j’ai détesté « Smells Like Teen Spirit ». Comme pour The Cure, je n’avais pas les codes tout en sachant que cela existait. Cette musique ne me parlait pas. « Harvest » est le premier vinyle que j’ai acheté avec mon argent et ce disque à eu un énorme impact. Dès « Out On The Weekend », j’ai su que c’était « ma musique doudou » à tout jamais ! L’impact dont tu parles après coup, je l’ai ressenti malgré les années. Surtout qu’à cette époque, les albums pleuvaient et les artistes étaient très productifs. « Harvest » est lumineux et Neil Young jouait plutôt « Tonight’s The Night » au milieu des années 70 qui est un album sombre suite à la mort de son guitariste. « On The Beach » en 1974 et « Tonight’s The Night » sont déprimants même si le deuxième a été enregistré avant. A cette période, je ne me posais pas la question de  l’impact sociétal mais plutôt de l’impact du disque à l’épreuve du temps. « Sergent Pepper » a également marqué son époque alors qu’à l’écoute de « Nevermind », l’impact était inconnu.
 
 
Diego : Cela rejoint mon raisonnement qu’un vieil album plébiscité donne envie d’y prêter attention ! Quel retour faites-vous de la tournée et de l’album « Atlas » ?
Yannick : C’était le bon temps où Joe Biden était président des USA ! La tournée s’est terminée il y a un an et nous gardons un souvenir incroyable du concert au festival du Bout du Monde. Nous avons rarement joué devant autant de spectateurs.
Sébastien : Perso, c’était ma tournée préférée depuis les débuts du groupe. Une différence en termes de retour public par rapport aux tournées précédentes. Franchement, toutes les dates ont été remplies et je pense que musicalement nous jouions très bien.
Diego : L’expérience !
Sébastien : Oui et c’est un moment où nous étions tous bien dans nos baskets scéniques. Comme l’impression qu’il ne pouvait rien nous arriver de grave.
 

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Diego : Musicalement si on prend le titre « Amazone » de 2016 puis « Atlas », c’est une progression logique dans une ambiance similaire ?
Sébastien : J’ai vécu l’album « Primitifs Modernes » de 2019 comme une rupture et « Atlas » est un retour aux fondamentaux.
 
Yannick : C’était notre direction de départ. Refaire un album comme à nos débuts avec l’expérience et les moyens d’aujourd’hui. Au batteur près, le groupe est le même et a évolué. Le style n’est pas nécessairement réfléchi mais les tempos rappellent probablement nos premiers efforts.
 
Diego : Qu’est-ce qui est le plus singulier dans le style musical « La Maison Tellier » : la guitare de Seb, la voix « nonchalante » de Yannick où la trompette marquée de Fred ?
Fred : Je pense qu’aucun aspect n’est à mettre en avant par rapport à un autre et peu de groupes utilisent une trompette dans leurs enregistrements. Seb et Yannick écrivent les chansons et c’est ce qui donne l’ADN du groupe.
Yannick : C’est assez singulier d’être un groupe actuellement car il y en a de moins en moins !
Diego : D’autant plus que vous êtes musiciens… ce n’est pas le cas de tous les « artistes » qui remplissent des salles plus ou moins grandes !
Yannick : Tout est question de génération.
Fred : Avec la trompette, je pense apporter une couleur que nous exploitons et que nous modifions au fil du temps.
Diego : Comme les groupes qui utilisent un accordéon… regarde les Têtes Raides !
Blandine : D’ailleurs je trouve que La Maison Tellier manque un peu d’accordéon… (rires général)
Yannick : A nos débuts, nous adorions des groupes comme Cake et Calexico avec des mariachis et cette envie d’un son différent était présente. Les solos de trompette sont présents et évoluent.
Diego : En ce qui me concerne, je trouve que le mélange de la voix de Yannick et de la trompette est très réussi. D’ailleurs la nonchalance vocale me rappelle parfois l’intonation de Vincent Bosler, chanteur des Hyènes. Une accroche musicale-vocale qui match direct !
Yannick : Cool, merci !
Fred : Au début, nous avions des influences mexicaines qui ont été refroidies par des couleurs nordiques et le mélange des deux nous permet de passer de l’un à l’autre en fonction des besoins.
 

Diego : Parlez-moi de la chanson « Les 12 Travaux d’Helmut » que je trouve bouleversante dans sa conception musicale et artistique ?
Sébastien : C’est un titre que j’aime beaucoup. Nous avons collaboré avec Yannick alors qu’habituellement c’était plutôt l’idée de l’un ou de l’autre. Un vrai mélange de deux morceaux musicaux que je considère comme l’un des plus réussis de notre carrière.
Fred : Probablement un condensé de tout ce que nous avons fait avant.
Sébastien : Ce n’est pas la chanson que l’on nous cite en premier pour nous définir car elle n’est pas mise en avant et n’a pas fait l’objet d’un single ou d’un clip dédié. Elle me tient à cœur et est très agréable à jouer, bien posée. C’est un peu notre « Harvest » à nous ! Comme d’habitude, le texte est de Yannick.
Yannick : C’est une synthèse des chansons précédentes de LMT qui était prévue pour finir l’album mais aussi les concerts de la tournée « Atlas ». Même si ce n’est pas prévu, on aurait pu terminer notre carrière avec celle-là. J’aime l’idée d’une chanson pour dire au revoir et à chacun de s’approprier le contenu.
Sébastien : Je ne pense pas que la façon dont on reçoit une œuvre soit le plus important. Le vrai sens du texte n’est pas forcément primordial.
 

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Diego : Le titre « Un Bon Français » de 2013, là au moins pas de doute sur le contenu !
Sébastien : Effectivement, c’est limpide et ne nécessite pas d’interprétation.
Yannick : Nous ne l’avons pas joué sur la tournée « Atlas » mais lors des spectacles « 1.8.8.1 » qui est une ballade littéraire et musicale que nous faisons avec Sébastien en duo, nous l’interprétons en lisant un texte sur un corbeau. Je pense que ce titre est un faux-ami dans notre carrière car l’intention n’est pas d’être un groupe engagé. J’ai trouvé dans le texte une distance qui me convient, comme un angle d’attaque permettant de se mettre dans la peau d’un salaud ordinaire tout en étant observateur.
Sébastien : Je confirme que nous sommes mal à l’aise avec les chansons engagées, qu’elles soient nôtres ou appartiennent à d’autres artistes. Je n’aime pas nécessairement écouter voir créer ce type de titres.
Diego : Néanmoins c’est mieux d’avoir des chansons à texte qui ont un sens plutôt qu’un gloubi-boulga de conneries inaudibles !
Sébastien : Regarde la chanson « La Nuit je Mens » de Bashung, le texte est presque incompréhensible mais la chanson est magnifique, tout comme l’interprétation !
 
Diego : Parlons d’avenir, qu’avez-vous prévu en 2025 après cet ultime concert « Harvest » ?
Yannick : Un nouvel album d’Animal Triste composé de certains membres de La Maison Tellier va sortir avec quelques concerts déjà programmés.
Diego : Tu as également un projet solo, Vieux Garçon ?
Yannick : Oui, je joue en solo avec quelques machines sur scène. Concernant La Maison Tellier, le prochain disque est une transition du poste de bassiste avec l’arrivée de Blandine et Matthieu continue la batterie. Sur « Atlas », il n’était pas à la genèse du projet. Il y a un passage de témoins sur ces deux instruments dans la formation. Nous avons déjà 75% de l’album et allons l’enregistrer au printemps 2025 pour une sortie en 2026. Ce sera notre 8ème album qui marquera les 20 ans du groupe, une belle occasion de repartir sur scène. Notre rythme de vie classique.
 
Diego : L’album « Jericho » d’Animal Triste est prévu pour quelle date ?
Sébastien : Début mars. Quelques concerts sont confirmés et nous ne savons pas encore si nous passerons cette année vers Bordeaux.

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Diego : Un projet bien plus rock que LMT !
Sébastien : Oui, on espère tourner le plus possible. Un projet rock en Anglais à 6 musiciens est plus difficile à mettre en place qu’une tournée solo avec un ipad !
Yannick : Pourquoi veux-tu tourner avec un Ehpad ? (rires général)
Diego : Plus sérieusement Fred, quel est ton programme ?
Fred : Je joue au sein de plusieurs groupes de jazz classiques, trio et quartet. Un spectacle est prévu en mars sur Chet Baker vers Le Havre.
 
Diego : Quelles sont les 5 plus belles minutes de votre vie ?
La Maison Tellier : Il y a certains instants évidents de la vie que l’on pourrait citer mais nous ne garderons pas « que 5 minutes » mais plutôt 2 heures d’un concert à La Maroquinerie de Paris. Nous avons vécu une énorme émotion à cet endroit, un moment exceptionnel. L’intensité de ce show de deux heures semble être passé en 5 minutes avec un public survolté.
 
Diego : Avez-vous un rituel avant de monter sur scène ?
Fred : On est ensemble et on se check !
Sébastien : Rien de spécial, un moment de calme si possible pour se concentrer.
 
Diego : Pour finir, quels sont vos plus beaux concerts vécus en tant que spectateur ?
Fred : Wynton Marsalis à la Philharmonie de Paris avec le Jazz Lincoln Center Orchestra en juin 2023. J’étais au premier rang, c’était énorme.
Sébastien : J’ai vu le même artiste à Marciac il y a une vingtaine d’années ! Superbes aussi Father John Misty à Calgary, Radiohead à Rock en Scène, Calexico au festival « Le Rock Dans Tous Ses États ». Il faisait une reprise de Love (« Alone and Again ») avec une trompette et il y avait eu une éclaircie pile-poil au moment de leur set. Magique. Également Brad Mehldau à Paris.
Yannick : Les derniers concerts que j’ai vus à la SMAC de Rouen et que j’ai adoré : The Mystery Lights, un groupe garage Californien et Jay Jay Johanson par curiosité. Un moment génial avec un crooner.
Blandine : Le français Matthieu Chedid avec Gail Ann Dorsey à la basse qui a chanté du Bowie. J’étais très émue. Sinon Syd Matters au Trianon de Rouen.
Diego : Merci à tous et longue vie à La Maison Tellier !
La Maison Tellier : Merci à toi.
 
  • Remerciements : AZIMUTH PROD
  • Photos : Emma Derrier
  • Relecture : Jacky G.